- Peut-être, oui. J’ai produit un très grand nombre de performances, je ne les ai jamais comptées (les spectacles, oui, jusqu’à 130 — et j’ai arrêté ensuite…) J’avais l’habitude de dire que les performances n’étaient que des spectacles avec moins d’argent, que la différence de dénomination s’arrêtait là. Je pense que je voulais insister sur le fait de ne pas confondre ce que je faisais avec ce qui s’est inventé historiquement dans les beaux-arts. J’ai toujours eu un complexe par rapport à l’histoire de l’art (je voudrais, maintenant que je cherche une reconversion, prendre des cours d’histoire de l’art). Mais cette non-différence entre nos performances et nos spectacles signe aussi que les spectacles relevaient sans doute aussi de la « performance » — peut-être dans le sens que ce qui m’intéressait, c’était la première fois. C’était le premier geste d’un interprète sur le plateau. C’était ce premier geste que nous gardions, geste prétexte, on n’en cherchait pas un autre. J’ai toujours eu très peu de temps de répétitions pour créer mes spectacles (pour une raison, celle de ne pas pouvoir se payer ce temps de travail et aussi par nécessité d’avoir le lieu-même de la représentation à disposition), mais ce temps très court, je le réduisais encore en programmant des avant-premières (au moins trois) et surtout en réalisant le spectacle le plus rapidement possible, immédiatement, le premier jour si possible, presque en temps réel — et de ne plus le retoucher ensuite, plus du tout, rien changer, les journées restantes servant alors seulement à retrouver cette qualité pour moi inouïe de la première fois. Cette qualité qu’on pense ne jamais pouvoir retrouver, mais qui se travaille, nous y arrivions. Un avantage de travailler cette qualité de la première fois, c’est qu’elle nous mettait de plain-pied avec les spectateurs du spectacle (ou de la performance) puisque, pour eux aussi (à moins qu’ils reviennent), c'est la première fois. C’est peut-être cette idée qui me rattache à la performance. Mais nous, nous en faisions des spectacles…
- Mon travail relevait du théâtre (je suis comédienne), mais il était présenté dans des lieux de danse (et j'employais beaucoup de danseurs). Les festivals de danse étant en France sans doute plus ouverts pour présenter de telles formes « hybrides ». C’était un théâtre dégagé de la notion — si actuelle — d’être en colère (la notion théâtrale de drame). C’est d'ailleurs peut-être une des raisons pour laquelle il ne se joue plus. Nous sommes dans une époque où la colère est sans cesse valorisée — tout le monde est en colère ! —, alors que — faut-il le rappeler ? — la colère faisait partie, il y a peu, de la liste des péchés capitaux…
- Répondu comme je l’ai pu en 1) et en 2)
- Ça, c’est bien. Toute appropriation est bonne, à mon sens (y compris la « culturelle »)
- J’ai employé le terme de « performance », mais je n’ai pas employé les autres termes que vous proposez. « Art-action », je ne sais pas ce que c’est. « Art expérimental » : à vrai dire, au fond, je n’avais pas vraiment l’impression tellement d’expérimenter (malgré les intitulés des festivals qui me programmaient, certes expérimentaux), c’était juste faire du théâtre comme je l’entendais, me mettre sous les yeux les spectacles dont je rêvais, que je ne voyais pas ailleurs, que j’avais envie de voir (ni non plus d’inventer de « nouvelles formes » comme d’autres que j’admire le font). L’« art indisciplinaire » me plaît parce que j’y entends « indiscipliné », mais je n’employais pas non plus ce terme…
- Ça, je ne sais pas. Je ne saurais dire ce qu’il faut faire (ou pas). Je pense que, oui, on peut l’inclure dans le domaine du spectacle vivant.
- Idem. Je ne saurais dire
- Je n’ai jamais demandé d’aide sauf quand on a trouvé mon travail assez important pour venir me chercher, m’inciter à en demander et m’aider à en préparer les dossiers (la DRAC). Ainsi, j’ai bénéficié pendant deux années d’une aide à la compagnie. Au bout de deux ans, mes bienfaiteurs étant partis, j’ai été virée…
- Comme je le suggère à la question précédente, je suis bien incapable de demander une quelconque aide. Mais je ne suis contre rien
- J’ai fait une école de théâtre (à Chaillot et à l'Odéon, Ecole d’Antoine Vitez), un stage d’Actors studio avec Blanche Salant et de très nombreux stages et cours de danse, un peu de chant… Mais ce que j’ai appris, j’ai le sentiment de l’avoir appris sur le tas (en travaillant, au début avec Claude Régy puis avec François Tanguy) — et aussi de l’avoir reçu de la vie toute entière, éternelle étudiante, les spectacles que j’ai vus très, très jeunes (Klaus Michael Grüber, Pina Bausch…) qui m’ont marquée de manière indélébile et les rencontres aussi que j’ai faites très jeune (Marguerite Duras, surtout). Par la suite, par les interprètes avec qui j’ai travaillé aussi… Tout est rencontre et prédestination…
- Oui, bien sûr, on peut toujours enseigner la performance. Ça m’intéresserait, en tout cas, en tant qu’étudiante. J’ai d’ailleurs travaillé et créé une pièce (Felix, dancing in silence) dans une école de Berlin rattachée à l’université qui était une école — malheureusement j’ai oublié son intitulé — qui préparait les jeunes danseurs (venus de toute l’Europe) à la performance (avec très peu de classiques cours « techniques », ce qui manquait peut-être aussi, par ailleurs…)
- Le festival Actoral (qui m’a beaucoup programmée), par exemple, à Marseille. Mais il n’existe plus… L’Arsenic, à Lausanne, qui m’a aussi beaucoup programmé. La Ménagerie de verre, bien sûr… Le festival de Silvia Fanti, à Bologne, où j’ai été aussi plusieurs fois… (Etc.)
- Je n’ai plus de réseau, je ne peux parler presque qu’au passé. Les gens sont décédés ou partis à la retraite. La roue tourne. Marie-Thérèse Allier est morte, Hubert Colas a été viré, pour ne nommer que les deux qui m’ont le plus fidèlement programmée…
- Oui, il existe une économie privée de la performance. Il m’arrive de donner, par exemple, des lectures performées dans des librairies, des galeries ou des lieux privés gratuitement ou contre un peu d’argent. J’ai aussi joué dans le off d’Avignon trois années (avec mes fonds propres et à la recette)
- Je ne sais pas. Ce qui existe m’émerveille souvent. Ce qui sera changé sera bien aussi, sans doute mieux. J’ai confiance, j'ai confiance, oui, dans les gens qui veillent sur les choses, la démocratie, les protègent ou les génèrent, malgré toutes les erreurs. Mais je n’ai pas de conseil comme ça qui me vienne
- Oui, il y a un travail de mémoire. C’est très important, la mémoire, parce que tout s’efface à chaque génération. C’est peut-être la grande difficulté pour l’espèce humaine. C’est très difficile, même à mon niveau, pour moi-même, car on vit dans une culture particulièrement lobotomisée et dépourvue de tout sens de l’histoire. Je paraphrase Salman Rushdie dont je viens de lire le Don Quichotte, mais je pense que Walter Benjamin parlait déjà de ça. Il faut lutter, ceux qui s’en sentent le courage, contre cette tendance lourde, fasciste, de l’effacement du passé…
Voici. Merci de votre délicatesse — et de votre insistance —, Philippe !
J’espère qu’il n’y a pas trop trop de coquilles et d'incompréhensions (j’ai relu, mais…) Il y a sûrement beaucoup de naïvetés !
Marie-Noëlle
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