Je finis l’admirable album de François Jonquet sur Gilbert & Georges, ce livre illustré m’a fait voyager de merveille en merveille. C’est ce que je demande aux livres et tant mieux s’ils sont illustrés ! A la fin du livre, François Jonquet repose le questionnaire « de Proust » pour voir si les choses ont évolué depuis 1978. A la question « Votre idée du bonheur », Gilbert & Georges qui avaient répondu : « Le malheur » répondent maintenant : « Le succès ». « Votre idée du malheur ? » (Ils avaient répondu : « Le malheur ».) « La défaite ». Mon Dieu ! c’est trop laid. Mais ils disent aussi : « Nous n’avons jamais pensé qu’un artiste doive promouvoir le bien et renoncer à traiter du mal. Nous croyons au cycle complet, la fleur et la merde ». Je retrouve la phrase parfaite dans le livre de Guillaume Marie sur saint Benoît Labre : « Il aimait les petites fleurs moches ». Il y avait une femme rescapée des camps qui m’avait dit (personnellement, par le truchement de la télé de mon enfance, puisque je m’en souviens) : « Moi, j’avais connu le bonheur, je pouvais m’appuyer sur cette connaissance profonde, intime, mais il y avait des femmes qui, elles, n’avaient jamais connu le bonheur ni dans leur enfance ni dans leur adolescence ; pour elles, c’était foutu. Foutu ». Bien que je sois loin de l'entrée dans le camp de la mort, mon printemps, cette année, n’est peut-être pas des plus heureux, mais il résonne de tous les autres, par ex de celui, à vélo, où j’avais longé la Loire pendant plusieurs jours de lumière extraordinaire pour rejoindre, à l'estuaire, une personne que j’aimais. C’est toujours difficile d’aimer une personne qu’on aime, mais la rejoindre après beaucoup d’effort et de temps de voyage, au grand air, c’est merveilleux — c’était merveilleux — car cette personne désirée devient presque imaginaire
Le livre se termine avec ce questionnaire. « Quelle est votre devise préférée ? — Oui, naturellement »
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