L e Légionnaire Martin
J’aimais ce printemps où il faisait assez froid pour que je me pelotonne avec pulls et bonnet et aussi — j’ai oublié le mot — ce que, depuis longtemps, je mets à mes frileux poignets, vieilles chaussettes récupérées pendant des années jusqu’à ce qu’on m’en tricote, comment cela s'appelle-t-il ? — où je reste sous les couettes (deux, superposées) tout un dimanche et même les jours de la semaine puisque je suis chômeuse et presque pas honteuse de l’être
Il pleut souvent sur le zinc de ma chambrette. Joie d’avoir, pour une fois, un temps de saison ! Je me souviens même des anciens proverbes, ils marchent encore : « En avril, ne te découvre pas d’un fil… »
J’allais à pied. Quand je sortais, je ne prenais pas de parapluie — j’en avais très rarement eu, en de très rares occasions si incongrues qu’elles en étaient restées mémorables ; je ne prenais même pas la cape de pluie qui m’avait été offerte pour le vélo par la même personne qui m’avait — ah ! voilà que je retrouve le mot... —, qui m’avait fait tricoter ces « manchons » de couleur —, je voulais — et, cela, je le voulais souvent — « passer à travers les gouttes » (parfois j’avais dû, trempée jusqu’aux os, m’arrêter sous un auvent puis rejoindre un métro) ; en m'habillant — tous les jours pareil depuis que je portais ce corset —, j'hésitais seulement sur les chaussures, oui, je ne voulais pas avoir les pieds mouillés (alors, ça devenait la misère) ; j’imaginais que je pouvais « passer à travers les gouttes », j’aimais bien cette expression, je la prononçais plus souvent que : « tu n’es pas en sucre » ou : « un glaçon n’a jamais fait fondre un radiateur ». Bref, j’étais seule avec mes doubles un peu partout dans la ville avec une préférence pour le déplacement qui ressemblait à celui de la veille, sans variation, ou un peu, mais en passant toujours à l’intérieur de la porte Saint-Martin, sous l'arche principale. Si j’oubliais, si je la contournais, comme font les voitures, les vélos et la grande majorité des piétons, si j’oubliais d'y déranger les pigeons qui me montraient pourtant bien que ce pays, l'intérieur de l'arche principale, d’usage, étaient à eux — mais à qui, moi, je montrais qui était le maître. Ah, mais oui, quand je passe, je passe ! Vous avez intérêt à dégager le terrain ! Derrière moi, vous reviendrez...
Si j’oubliais, si je l’avais contournée sans m’en rendre compte et si j'étais déjà trop loin pour rebrousser chemin, alors j'y voyais l'avertissement
Pas forcé le mauvais présage, mais l'avertissement
Fais attention
Sois présente
Labels: paris
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