A vec Legrand, nous errions dans les rues
Avec Legrand, nous errions dans les rues, avec Legrand j’avais compris l’errance et j’avais compris les rues. Legrand était né là, il aimait Paris comme son nid. Nous passions d’une salle à une autre, tout était ouvert pour la déambulation… Et puis, des fois, on rentrait chez lui et j’avais froid — je suis si frileuse depuis que je vis dans les rues — et on regardait un livre ou deux qu’il avait trouvés chez un bouquiniste, un livre d’art, sur le Moyen-âge ou sur le Mexique (il en revenait) et j’avais froid malgré le radiateur qui me touchait le genou, je crois, et les tisanes rallongées qui apparaissaient sur la table ; je restais habillée et on parlait et la parole remplaçait l’amour. L’amour, pour lui, était toujours présent, sauf avec moi, mais, pour moi, il ne l’était jamais, jamais présent, sauf avec lui. Nous avions ainsi des vies très différentes. Par sadisme, il me rappelait son âge. Il avait pris un an de plus. Je le voyais vieillir sans moi. J’aurais voulu qu’au moins le temps ne passe pas. Nous passions des soirées « de pure amitié », sans que le désir s’y mêlât, à cette différence près que, résigné à l’ennui, j’écoutais à peine ce qu’il me disait. (Cette dernière phrase, je l’avoue, est recopiée de LA CHUTE, d’Albert Camus, que Legrand m’a conseillé de lire, j’en suis presque au bout.) Et j’avais faim. Parfois je ne voyais pas l’intérêt de chercher à manger… Si ça se présentait, oui. Mais Legrand n’avait qu’un vieux camembert Président et du pain de mie, je refusais. On a sa fierté, quand même… J’arrivais parfois chez lui sans prévenir quand je ne voulais pas rentrer chez moi, quand je traînais ; il ne fermait pas sa porte, j’entrais, il me rabrouait un peu : « Mais enfin, imagine, j’aurais pu être là à me branler… »
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