En rêve j’avais été sur scène. L’actrice était venue vers moi et s’était assise sur mes genoux. Elle le faisait toujours, mais, là, j’avais senti une ferveur particulière, une tendresse, profondément. Elle s’adressait à son cheval, mais je sentais que son amour des bêtes se dirigeait aussi vers moi (puisque je jouais le cheval). J’aimais être muette dans cette scène, passive. Un cheval, ça ne parle pas, quelle merveille à jouer ! Au petit-déjeuner, d’habitude je restais dans mon coin en regardant les News sur mon téléphone, mais, depuis quelque temps, je m’asseyais à la table commune. C’était la fin d’une tournée. On avait même vu l’actrice apparaître en chantant — une vocalise avait préfiguré sa présence — dans la salle surchargée. Du jamais vu. « She sang beyond the genius of the sea. » (m'était revenu le vers de Wallace Stevens). Elle ne s’était pas assise à la table commune, elle avait disparu, son effluve, mais elle m’avait donné en passant une caresse comme à son cheval. Sur la scène immense où l’on aurait pu mettre des mondes et des mondes — le régisseur avait dit, après la représentation, que nous avions l’air de poissons perdus dans le vide d’un aquarium (immense, mais nullement infini sauf, peut-être, pour ces animaux qui ont, parait-il, une mémoire de deux secondes) — c’est vrai, comme dans un palais contenant le monde, l’univers — si grand qu’il en pouvait contenir l’univers —, assise sur ma chaise pendant la grande scène de l’actrice, j’avais pensé la mort. Ce vide immense, ce plancher aux reflets noirs, j’avais pensé l’absurdité de vivre une fois et de ne plus vivre pour l’éternité. Nathalie Sarraute disait qu’elle n’avait pas peur de la mort, que c'était comme avant sa naissance. Oui, tout cela était absurde. Sauf que Nathalie Sarraute avait laissé ses livres, comme des témoignages, surtout ENFANCE, mon préféré, que j’ai lu plusieurs fois...
J’étais paresseuse, je n’allais pas aller revoir le retable d’Issenheim comme je l’avais projeté quelques heures auparavant. En hiver, je n’aimais rien mieux que de rester dans mon lit. Toutes les demi-heures passait dans la rue un petit train qui chantonnait des chansons de Noël ; la nuit, ma chambre du premier étage était éclairée par les guirlandes électriques de la rue ; l’hôtel était rempli d’énormes sapins garnis qui étouffaient tous les espaces, les entrées, la salle des petits-déjeuners. La question dans la compagnie avait été de savoir si les sapins arrivaient tout garnis depuis je ne sais quel entrepôt géant américain où s’il avait fallu accrocher une par une, à touche-touche, les boules et les étoiles (et les friandises, les noix dorées…). Les employés nous avaient indiqué à mi-voix qu’en effet, ça avait été un sacré gros boulot… L’hôtel, sur son site, se présentait comme « LGBT friendly ». « Nous assumons notre différence », était-il clairement énoncé. Ce qui fait que le régisseur : « Ah, mais c’est pour ça, alors, le mauvais goût… »
Bien sûr, nous aimons le kitsch, nous, les LGBT...
Dans la journée les heures passaient très vite. A ne rien faire, à ne sortir que pour se ravitailler, les heures passaient très vite. Les cloches sonnaient les demi-heures. Plus le petit train. Le soir, avant la représentation, je me regardais dans le miroir et je me disais : Voilà, maintenant, il n’y a que toi, tu ne pourras faire qu’avec toi, avec tous tes défauts (ou qualités), avec ton état, ta faiblesse, avec ce que tu peux bien être maintenant — que tu ignores —, rien à voir avec hier, rien que tu ne peux plus rêver d’améliorer : le meilleur moment de toute l'histoire
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