C’était une journée tellement belle et Zakary m’avait téléphoné et il était dans le Nord, près de chez moi, et, moi, j’étais rue Bréa, derrière le Luco, je faisais le pèlerinage — que je ferai toujours — celui de ma sœur : elle tenait un magasin de jouets rue Bréa et elle habitait de l’autre côté du Luco qu’elle traversait à pied pour aller travailler le matin et rentrer chez elle le soir. Même si le magasin avait assez rapidement périclité (elle était incapable, comme moi, de s’occuper de la paperasse), j’aimais penser qu’elle avait bénéficié un moment d’un petit paradis. Pendant un moment, elle y avait cru, c’est certain. Elle avait cru à la vie, elle avait cru qu’elle s’en sortirait, elle avait cru à sa bonne étoile. C’est certain. Peut-être que la drogue s’était calmée un moment. Le magasin était très bien placé, les jouets choisis avec goût, elle n’avait pas de problème de vente (elle aimait ça), mais elle était toute seule malgré des amis qui l’aidaient, qui l’aimaient, malgré une amie proche aussi, Joséphine, malgré ma cousine, malgré moi. J’avais commencé une psychanalyse et, tout de suite, ma sœur et moi, nous avions été proches, réconciliées d’un faux dégoût. Mais je me disais : « Je continue la psychanalyse (au début ça avançait si vite) et je l’aiderai mieux… » Mais elle est morte, voyez, ça va vite, il ne faut pas attendre pour aider les autres, mais on ne sait pas le faire, souvent, comment le faire. Voilà, j’étais au Funzy Café découvert par François Simon, un café vide, hors du temps, tenu par une seule personne qui sert et fabrique la nourriture, notamment des gâteaux qu’elle étale sur le comptoir, j’avais mangé là, près du magasin de ma sœur, aussi hors du temps, et j’y traînais encore, avec un livre, J’écris l’Iliade, de Pierre Michon (un livre très cochon), une part de pithiviers et un thé vert, et la porte grande ouverte sur le vide, sur la mer, c’était la splendeur de la journée d’été, Paris était resplendissant, tout miroir, toute beauté, comme une espèce d’éternité, un peuple. Et Zakary m’a appelée. Il est venu me rejoindre d’un coup de ligne 4 et on est allés au Luco. J’étais si contente qu’il ait pensé à moi car (je le lui ai dit) je m’aperçois, en ce moment, que je n’ai pas d’amis, que, d’une manière presque mystique, je réussis à faire le vide autour de Legrand, qu’il n’y a plus que Legrand, que même Bobo qui est à l’école à Roubaix, je l’oublie, ou, disons, il ne fait pas le poids vis-à-vis de Legrand, mais ce poids de Legrand, ce n’est que moi qui le crée, justement en faisant de ma vie un vide dans lequel je l'enchâsse (pour l’aspirer ?), mais, alors, j’ai peur que Legrand se fatigue de cette matière vidée, ouatée, étouffante, de ma manière « à la Bovary », de ma folie, en quelque sorte, j’ai peur que Legrand me jette et, alors, je n’aurai plus du tout d’ami et ce serait fini de chez fini, j’aurai plus que mes larmes pour pleurer, mais Zakary m’avait appelée. Il m’avait imitée Brigitte Fontaine à la perfection (il imite très bien), il m’avait parlé de l’Algérie, il voulait toujours qu’on y aille ensemble et, moi aussi, tellement, mais la situation entre la France et l’Algérie se détériorait à si grande vitesse en ce moment (il m’expliquait la situation, il en revenait) — et je voulais parler ici seulement de lui
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