Dossier de presse (Chaillot)
Son nom d'Yves-Noël Genod
À quelques jours de sa création pour le Studio de Chaillot, Genod l'inclassable, cherche encore. Mais quoi ? « L'idée que je viendrai à Chaillot délivrer directement une parole directe (tel un messie ?), quelle qu'en soit la forme, théâtre, danse, comédiens, amateurs, animaux, piano, artifice, nature, lumière, vidéo, sons... c'est l'essence de mon travail. J'ai fait varier les formes autant que j'ai pu pour tenter de ne mettre en valeur qu’une seule chose – qui bien sûr n'a pas de nom – mais qu'on appelle vulgairement le « fond ». Le fond est toujours le même plus les métamorphoses se déploient. Maintenant, après vingt-six spectacles, il y a peut-être un essoufflement dans la création de nouvelles formes, je n'ai plus envie d'épater encore, mais juste de déployer le poème, le plus simplement et le plus directement possible (efficacité) – et donc avec l'humilité qui fait que je m'adresse plus au village qu'au monde – et dans le sens, vous savez, où Duras disait : « Il y eut un soir, il y eut un matin... qu'est-ce qu'on peut écrire de mieux ? » Autant dire que Yves-Noël Genod – et ses invités car il y en aura – débarrassé de ses peaux successives de mondain, performer, poète, funambule et autre se présentera dans l'absolue vérité de son art. Ou de ses artifices. À prendre ou à laisser.
« Bien à vous, à tout de suite » comme le dit Yves-Noël.
Philippe Noisette
Rêver son spectacle
J’ai beaucoup de chance : je suis quelqu’un à qui on permet de rêver son spectacle. On me fait assez confiance pour me dire : « Vas-y, fais quelque chose sur ce que tu veux ! » Depuis six ans, c’est le luxe dans lequel je vis (et qui a bouleversé ma vie). Le luxe, certes, d’être passé du statut d’interprète à celui d’auteur mais le luxe d’une extrême liberté. Et j’ai peut-être la prétention (l’orgueil) de vivre cette liberté non pas comme une carte blanche, mais comme une commande.
J’essaie toujours de faire mes spectacles les plus vastes possible. Je me souviens que Robert Bresson qui avait appelé son – dernier, je crois – film L’Argent avait dit : « J’aurais aimé que le titre soit plus vaste encore, plus général. » Oui, parce que si on ne parle pas de tout, on ne parle de rien. Ce n’est pas qu’on ne puisse pas faire un spectacle sur un thème. Mais les thèmes, moi, ils me tombent dessus. Ils ne se décident pas dans les instances raisonnables de mon cerveau (mais dans l’obscurité qui me relie au monde). À la vitesse où vont les choses, dans nos sociétés équilibristes, et même à un niveau personnel (ce dont tout le monde fait l’expérience) : à la vitesse où la mort fond sur vous, je crois qu’il ne faut pas juste une chose : se mentir (si on le peut). Il y a des gens incroyablement plus intelligents que moi, plus sensibles et qui ont plus de cœur et – partout ! – mais, moi, je peux dire : « Faible, mais je ne mens pas. » Je n’ai rien de comparable à Maria Callas, évidemment, mais je comprends que je peux dire comme Maria Callas : « Si les gens m’aiment, c’est parce que je ne triche jamais. » Est-ce que les gens vont m’aimer à Chaillot ? Je leur dirai : « Ce que vous voyez, ce n’est pas moi ou ce n’est que moi, mais ça vous intéresse parce que je me présente à vous sans tricher. » Toute l’astuce, c’est de repérer ce qui risque de vous faire tricher (le plancher qui grince, etc.) Tricher, c’est chuter. Et puis de supprimer la peur. Vaste programme – mais seul programme – au théâtre (selon Klaus Michael Grüber).
Je propose des expériences poétiques. C’est pourquoi ces expériences ne peuvent pas être préméditées. Elles ne peuvent pas être communiquées à l’avance. Mes spectacles parlent de l’expérience. S’ils parlent de quelque chose. Ils parlent de l’expérience d’être en vie. Et ils sont très contextualisés. Car, la vie, c’est aussi simple que la vie maintenant. Il y a un titre de Leslie Kaplan qui dit : Depuis maintenant. Si vous voulez, j’utilise les moyens du spectacle – et tout me plaît dans le spectacle – pour, en vue de, susciter une expérience d’un ordre poétique – ou amoureux, c’est pareil – chez le spectateur. C’est à dire qu’en cela, je ne veux pas qu’un spectacle soit différent de la vie. Dans la vie, l’expérience peut arriver, surgir, d’un moment à l’autre. Je veux que cette possibilité soit toujours présente dans le spectacle. C’est cela que j’appelle ne pas tricher. Autrement dit, cela implique une attitude pour ceux qui sont en scène : y croire et ne pas y croire. C’est l’attitude des stars, en général. C’est pour ça que les acteurs aiment travailler avec moi, c’est parce que je les considère comme des étoiles et que je leur donne cette liberté de faire ce qu’ils veulent, l’essentiel n’étant pas dans le faire.
Nous disons tous la même chose, charcutiers, juges, écrivains ou assassins… nous ressentons tous l’essentiel des choses de la même manière – sauf, peut-être, les astrophysiciens qui en savent plus long, qui savent des choses que nous ne voulons pas savoir, si accrochés que nous sommes à notre terroir boueux. Et puis aussi quelques visionnaires parmi les âges… (ceux qu’on appellent les artistes). Mais pour le gros des troupes, les contemporains vivants, nous sommes tous sur le même bateau – et c’est ça qui est quand même sidérant à notre époque : nous nous sommes tous mis ensemble sur le même bateau, comme on dit mettre toutes ses billes dans le même sac : si nous disparaissons, c’est toute l’humanité qui disparaît, tous. Quel risque merveilleux nous prenons ! À partir de là, il n’est plus temps de faire des histoires…
Mais embarqués ensemble, il y a quelque chose de particulier que nous pouvons ressentir au théâtre, nous pouvons ressentir cet embarquement désastreux (la fuite en avant) et ce qui pourrait nous sauver. Et que je nomme maladroitement l’expérience. Non pas des idées sur la chose, mais la chose elle-même. Je sais : c’est très baba, ce que je dis. Ça peut avoir le style baba, j’adore. N’importe quel style est le mien. N’importe quelle forme. Je suis comme un acteur, vous voulez que je joue un homosexuel, vous voulez que je joue un paysan, vous voulez que je joue un politicien, un philosophe, un noir, un amoureux, une femme, un pauvre type ou un riche ? Mes spectacles sont à l’image des multiples facettes que voudrait interpréter un acteur. Ils changent, ce sont des interprétations. Un film, une pièce. Ils sont aussi, c’est essentiel, des collaborations. Ils naissent de ces collaborations. Coco Chanel disait quand on lui demandait comment allait être sa prochaine collection : « Comment voulez-vous que je le sache ? Je fais mes robes sur les mannequins. » Je fais mes spectacles, les spectacles que je signe, sur les acteurs, mais aussi en collaboration avec les acteurs, les vidéastes, les auteurs, etc. – et surtout en collaboration avec le public qui me fait la grâce de m’accueillir en son sein, en son temple. Les théâtres, pour moi, sont toujours les maisons du public. Je suis chez lui. C’est lui qui crée. C’est par lui que je comprends le sens de ce que je fais. C’est lui qui décide ou pas de ce qu’il lui reste… Cette liberté que je donne au public, cette responsabilité, provoque aussi bien des passions que des rejets, j’accepte tout. Comment faire autrement ? Les malentendus sont curieux, ils m’étonnent toujours (mais ne me surprennent pas) et, quand, en revanche, la beauté surgit dans le cœur des gens, j’en suis bouleversé, mais, au fond, je trouve ça tout à fait normal car je suis aussi, moi-même, le contemplatif de ce que « je » fais, plus que l’acteur. De ce qui a été fait, disons. Si je ne nomme pas d’avance les collaborateurs avec qui je travaille, c’est par une forte superstition, je l’avoue, et pour nous laisser libres, eux avec moi, de travailler et de « nous trouver ».
Est-ce qu’on demande à un écrivain de dire ce sur quoi il écrit avant qu’il ait écrit le livre ? Non… Écrire ça ne veut pas dire raconter ce qu’on fait. Les journalistes parlent du livre parce qu’ils l’ont lu parce qu’il a été fini, ou presque, et que la maison d’édition leur en a envoyé un exemplaire. (Il parlent d’un livre, en un sens, qu’ils écrivent eux-mêmes.) On m’a beaucoup humilié à me demander un titre de spectacle par avance. Maintenant je suis assez connu pour que les gens ne me le demandent plus, au restaurant on me place sans problème. Je fais des spectacles sans argent. Ou avec très peu. Mais ça aussi, c’est un choix, c’est la liberté du pauvre. Si j’avais de l’argent, je veux dire, pas d’un mécène évidemment, mais de l’une et l’autre de ces multiples instances culturelles qui sont susceptibles de vous en donner un peu (ou beaucoup) si on passe sa vie à remplir des formulaires, voyez-vous, je ne serais plus libre et ce ne serait plus la peine de faire les spectacles que je fais, je ferais ceux des autres – et je crois que les autres n’ont pas besoin de moi – d’après ce que je vois… Je n’ai rien contre personne « …mais en poète, l’homme habite sur cette terre… » (Hölderlin.) Ça n’enlève rien des mérites multiples de la «vie culturelle », passionnante certes, mais l’art, pour moi, c’est autre chose. C’est plus simple, plus direct, moins négocié, moins tortueux, ça passe pas par les instances, aussi bien intentionnées soient-elles, culturelles… Non. J’en paye le prix, mais : non. (J’en suis la preuve.)
Être un écrivain, je prends l’exemple de l’écrivain, mais c’est « auteur » que je veux dire, c’est croire que ce que l’on ressent peut-être ressenti par tout le monde, ce que l’on ressent sera – par cette opération justement de l’écriture ou de la création en général – ressenti personnellement d’égale manière sinon par tout le monde, par ceux qui liront le livre ou le vivront. C’est votre vie qui défile, si vous pleurez ce sont vos larmes, ou vos rires…
Repères biographiques
Chaillot, lieu de mémoire, permet particulièrement à Yves-Noël Genod de se remémorer ses années de formation à l’École d’Antoine Vitez.
Après avoir été comédien chez Claude Régy, François Tanguy (Théâtre du Radeau) et avec Julie Brochen pour Le cadavre vivant de Tolstoï (où il avait comme partenaire Valérie Drévile), puis interprète dans le champ chorégraphique, en particulier avec Loïc Touzé, Yves-Noël Genod, depuis six ans, est devenu metteur en scène. Tous ses spectacles ont été représentés dans le réseau des festivals de l’avant-garde et des formes nouvelles – du côté de la danse, mais ce sont, pour lui, des spectacles de théâtre au sens presque classique du terme. Citons : En attendant Genod (one man show) ; Le Groupe Saint Augustin (boys band) ; Pour en finir avec Claude Régy (one man show) ; Une saison en enfer (d’après Rimbaud) ; Z’avatars (sur la déréliction) ; Dior n'est pas Dieu (sur le parisianisme) ; Hommage à Catherine Diverrès (au Centre Chorégraphique de Rennes); Le Dispariteur (spectacle dans le noir) ; Dictionnaire des Açores (dix-huit personnes en scène) ; Barracuda (pour la Sainte Mathilde, au Centre Chorégraphique de Montpellier) ; Jésus revient en Bretagne (pour la Saint Yves, à Rennes) ; Nouveau Monde (dans une fontaine, à Chamarande) ; Domaine de la Jalousie (texte pur) ; Elle court dans la poussière, la rose de Balzac (autour de l’enfant Marcus Vigneron-Coudray) ; La Descendance (Avignon 2007) ; Monsieur Villovitch (sur le racisme) ; Blektre (de Charles Torris et Nathalie Quintane) ; Hamlet (deux versions, avec ou sans décor) ; Oh, pas d’femme, pas d’cri (la plus belle salle : Gennevilliers) ; Mamzelle Poésie (de Liliane Giraudon) ; C’est pas pour les cochons ! (collaboration avec Kataline Patkaï)… Tous sont inscrits au répertoire de sa compagnie, Le Dispariteur, et sont documentés ici même.
À quelques jours de sa création pour le Studio de Chaillot, Genod l'inclassable, cherche encore. Mais quoi ? « L'idée que je viendrai à Chaillot délivrer directement une parole directe (tel un messie ?), quelle qu'en soit la forme, théâtre, danse, comédiens, amateurs, animaux, piano, artifice, nature, lumière, vidéo, sons... c'est l'essence de mon travail. J'ai fait varier les formes autant que j'ai pu pour tenter de ne mettre en valeur qu’une seule chose – qui bien sûr n'a pas de nom – mais qu'on appelle vulgairement le « fond ». Le fond est toujours le même plus les métamorphoses se déploient. Maintenant, après vingt-six spectacles, il y a peut-être un essoufflement dans la création de nouvelles formes, je n'ai plus envie d'épater encore, mais juste de déployer le poème, le plus simplement et le plus directement possible (efficacité) – et donc avec l'humilité qui fait que je m'adresse plus au village qu'au monde – et dans le sens, vous savez, où Duras disait : « Il y eut un soir, il y eut un matin... qu'est-ce qu'on peut écrire de mieux ? » Autant dire que Yves-Noël Genod – et ses invités car il y en aura – débarrassé de ses peaux successives de mondain, performer, poète, funambule et autre se présentera dans l'absolue vérité de son art. Ou de ses artifices. À prendre ou à laisser.
« Bien à vous, à tout de suite » comme le dit Yves-Noël.
Philippe Noisette
Rêver son spectacle
J’ai beaucoup de chance : je suis quelqu’un à qui on permet de rêver son spectacle. On me fait assez confiance pour me dire : « Vas-y, fais quelque chose sur ce que tu veux ! » Depuis six ans, c’est le luxe dans lequel je vis (et qui a bouleversé ma vie). Le luxe, certes, d’être passé du statut d’interprète à celui d’auteur mais le luxe d’une extrême liberté. Et j’ai peut-être la prétention (l’orgueil) de vivre cette liberté non pas comme une carte blanche, mais comme une commande.
J’essaie toujours de faire mes spectacles les plus vastes possible. Je me souviens que Robert Bresson qui avait appelé son – dernier, je crois – film L’Argent avait dit : « J’aurais aimé que le titre soit plus vaste encore, plus général. » Oui, parce que si on ne parle pas de tout, on ne parle de rien. Ce n’est pas qu’on ne puisse pas faire un spectacle sur un thème. Mais les thèmes, moi, ils me tombent dessus. Ils ne se décident pas dans les instances raisonnables de mon cerveau (mais dans l’obscurité qui me relie au monde). À la vitesse où vont les choses, dans nos sociétés équilibristes, et même à un niveau personnel (ce dont tout le monde fait l’expérience) : à la vitesse où la mort fond sur vous, je crois qu’il ne faut pas juste une chose : se mentir (si on le peut). Il y a des gens incroyablement plus intelligents que moi, plus sensibles et qui ont plus de cœur et – partout ! – mais, moi, je peux dire : « Faible, mais je ne mens pas. » Je n’ai rien de comparable à Maria Callas, évidemment, mais je comprends que je peux dire comme Maria Callas : « Si les gens m’aiment, c’est parce que je ne triche jamais. » Est-ce que les gens vont m’aimer à Chaillot ? Je leur dirai : « Ce que vous voyez, ce n’est pas moi ou ce n’est que moi, mais ça vous intéresse parce que je me présente à vous sans tricher. » Toute l’astuce, c’est de repérer ce qui risque de vous faire tricher (le plancher qui grince, etc.) Tricher, c’est chuter. Et puis de supprimer la peur. Vaste programme – mais seul programme – au théâtre (selon Klaus Michael Grüber).
Je propose des expériences poétiques. C’est pourquoi ces expériences ne peuvent pas être préméditées. Elles ne peuvent pas être communiquées à l’avance. Mes spectacles parlent de l’expérience. S’ils parlent de quelque chose. Ils parlent de l’expérience d’être en vie. Et ils sont très contextualisés. Car, la vie, c’est aussi simple que la vie maintenant. Il y a un titre de Leslie Kaplan qui dit : Depuis maintenant. Si vous voulez, j’utilise les moyens du spectacle – et tout me plaît dans le spectacle – pour, en vue de, susciter une expérience d’un ordre poétique – ou amoureux, c’est pareil – chez le spectateur. C’est à dire qu’en cela, je ne veux pas qu’un spectacle soit différent de la vie. Dans la vie, l’expérience peut arriver, surgir, d’un moment à l’autre. Je veux que cette possibilité soit toujours présente dans le spectacle. C’est cela que j’appelle ne pas tricher. Autrement dit, cela implique une attitude pour ceux qui sont en scène : y croire et ne pas y croire. C’est l’attitude des stars, en général. C’est pour ça que les acteurs aiment travailler avec moi, c’est parce que je les considère comme des étoiles et que je leur donne cette liberté de faire ce qu’ils veulent, l’essentiel n’étant pas dans le faire.
Nous disons tous la même chose, charcutiers, juges, écrivains ou assassins… nous ressentons tous l’essentiel des choses de la même manière – sauf, peut-être, les astrophysiciens qui en savent plus long, qui savent des choses que nous ne voulons pas savoir, si accrochés que nous sommes à notre terroir boueux. Et puis aussi quelques visionnaires parmi les âges… (ceux qu’on appellent les artistes). Mais pour le gros des troupes, les contemporains vivants, nous sommes tous sur le même bateau – et c’est ça qui est quand même sidérant à notre époque : nous nous sommes tous mis ensemble sur le même bateau, comme on dit mettre toutes ses billes dans le même sac : si nous disparaissons, c’est toute l’humanité qui disparaît, tous. Quel risque merveilleux nous prenons ! À partir de là, il n’est plus temps de faire des histoires…
Mais embarqués ensemble, il y a quelque chose de particulier que nous pouvons ressentir au théâtre, nous pouvons ressentir cet embarquement désastreux (la fuite en avant) et ce qui pourrait nous sauver. Et que je nomme maladroitement l’expérience. Non pas des idées sur la chose, mais la chose elle-même. Je sais : c’est très baba, ce que je dis. Ça peut avoir le style baba, j’adore. N’importe quel style est le mien. N’importe quelle forme. Je suis comme un acteur, vous voulez que je joue un homosexuel, vous voulez que je joue un paysan, vous voulez que je joue un politicien, un philosophe, un noir, un amoureux, une femme, un pauvre type ou un riche ? Mes spectacles sont à l’image des multiples facettes que voudrait interpréter un acteur. Ils changent, ce sont des interprétations. Un film, une pièce. Ils sont aussi, c’est essentiel, des collaborations. Ils naissent de ces collaborations. Coco Chanel disait quand on lui demandait comment allait être sa prochaine collection : « Comment voulez-vous que je le sache ? Je fais mes robes sur les mannequins. » Je fais mes spectacles, les spectacles que je signe, sur les acteurs, mais aussi en collaboration avec les acteurs, les vidéastes, les auteurs, etc. – et surtout en collaboration avec le public qui me fait la grâce de m’accueillir en son sein, en son temple. Les théâtres, pour moi, sont toujours les maisons du public. Je suis chez lui. C’est lui qui crée. C’est par lui que je comprends le sens de ce que je fais. C’est lui qui décide ou pas de ce qu’il lui reste… Cette liberté que je donne au public, cette responsabilité, provoque aussi bien des passions que des rejets, j’accepte tout. Comment faire autrement ? Les malentendus sont curieux, ils m’étonnent toujours (mais ne me surprennent pas) et, quand, en revanche, la beauté surgit dans le cœur des gens, j’en suis bouleversé, mais, au fond, je trouve ça tout à fait normal car je suis aussi, moi-même, le contemplatif de ce que « je » fais, plus que l’acteur. De ce qui a été fait, disons. Si je ne nomme pas d’avance les collaborateurs avec qui je travaille, c’est par une forte superstition, je l’avoue, et pour nous laisser libres, eux avec moi, de travailler et de « nous trouver ».
Est-ce qu’on demande à un écrivain de dire ce sur quoi il écrit avant qu’il ait écrit le livre ? Non… Écrire ça ne veut pas dire raconter ce qu’on fait. Les journalistes parlent du livre parce qu’ils l’ont lu parce qu’il a été fini, ou presque, et que la maison d’édition leur en a envoyé un exemplaire. (Il parlent d’un livre, en un sens, qu’ils écrivent eux-mêmes.) On m’a beaucoup humilié à me demander un titre de spectacle par avance. Maintenant je suis assez connu pour que les gens ne me le demandent plus, au restaurant on me place sans problème. Je fais des spectacles sans argent. Ou avec très peu. Mais ça aussi, c’est un choix, c’est la liberté du pauvre. Si j’avais de l’argent, je veux dire, pas d’un mécène évidemment, mais de l’une et l’autre de ces multiples instances culturelles qui sont susceptibles de vous en donner un peu (ou beaucoup) si on passe sa vie à remplir des formulaires, voyez-vous, je ne serais plus libre et ce ne serait plus la peine de faire les spectacles que je fais, je ferais ceux des autres – et je crois que les autres n’ont pas besoin de moi – d’après ce que je vois… Je n’ai rien contre personne « …mais en poète, l’homme habite sur cette terre… » (Hölderlin.) Ça n’enlève rien des mérites multiples de la «vie culturelle », passionnante certes, mais l’art, pour moi, c’est autre chose. C’est plus simple, plus direct, moins négocié, moins tortueux, ça passe pas par les instances, aussi bien intentionnées soient-elles, culturelles… Non. J’en paye le prix, mais : non. (J’en suis la preuve.)
Être un écrivain, je prends l’exemple de l’écrivain, mais c’est « auteur » que je veux dire, c’est croire que ce que l’on ressent peut-être ressenti par tout le monde, ce que l’on ressent sera – par cette opération justement de l’écriture ou de la création en général – ressenti personnellement d’égale manière sinon par tout le monde, par ceux qui liront le livre ou le vivront. C’est votre vie qui défile, si vous pleurez ce sont vos larmes, ou vos rires…
Repères biographiques
Chaillot, lieu de mémoire, permet particulièrement à Yves-Noël Genod de se remémorer ses années de formation à l’École d’Antoine Vitez.
Après avoir été comédien chez Claude Régy, François Tanguy (Théâtre du Radeau) et avec Julie Brochen pour Le cadavre vivant de Tolstoï (où il avait comme partenaire Valérie Drévile), puis interprète dans le champ chorégraphique, en particulier avec Loïc Touzé, Yves-Noël Genod, depuis six ans, est devenu metteur en scène. Tous ses spectacles ont été représentés dans le réseau des festivals de l’avant-garde et des formes nouvelles – du côté de la danse, mais ce sont, pour lui, des spectacles de théâtre au sens presque classique du terme. Citons : En attendant Genod (one man show) ; Le Groupe Saint Augustin (boys band) ; Pour en finir avec Claude Régy (one man show) ; Une saison en enfer (d’après Rimbaud) ; Z’avatars (sur la déréliction) ; Dior n'est pas Dieu (sur le parisianisme) ; Hommage à Catherine Diverrès (au Centre Chorégraphique de Rennes); Le Dispariteur (spectacle dans le noir) ; Dictionnaire des Açores (dix-huit personnes en scène) ; Barracuda (pour la Sainte Mathilde, au Centre Chorégraphique de Montpellier) ; Jésus revient en Bretagne (pour la Saint Yves, à Rennes) ; Nouveau Monde (dans une fontaine, à Chamarande) ; Domaine de la Jalousie (texte pur) ; Elle court dans la poussière, la rose de Balzac (autour de l’enfant Marcus Vigneron-Coudray) ; La Descendance (Avignon 2007) ; Monsieur Villovitch (sur le racisme) ; Blektre (de Charles Torris et Nathalie Quintane) ; Hamlet (deux versions, avec ou sans décor) ; Oh, pas d’femme, pas d’cri (la plus belle salle : Gennevilliers) ; Mamzelle Poésie (de Liliane Giraudon) ; C’est pas pour les cochons ! (collaboration avec Kataline Patkaï)… Tous sont inscrits au répertoire de sa compagnie, Le Dispariteur, et sont documentés ici même.
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