The Energy of this hotel
(Chère Sarah Neumann…)
J’ai dit à Patrick de Rham que je trouvais Sarah Neumann « allumée » (une découverte tendre) – que je la trouvais « allumée », j’ai détaillé, pour deux raisons : elle venait de me demander d’assister à l’audition du soir d’un élève de l’école (j’en avais donné une le matin) et elle lit mon blog ! Mes auditions sont allumées, y a pas d’autre mot (quand elles sont bonnes, un échange de confiance magique, pisse, foutre et abattement) et, mon blog, vous le fréquentez ! Donc Sarah Neumann est allumée. CQFD. Alors Patrick (peut-être avant que j’aille plus loin) m’a dit qu’ils avaient vécu ensemble plusieurs années – colocataires ? – non, ensemble. Ce qui a d’ailleurs ensuite été évoqué en fin de soirée (après l’audition allumée) par Sarah Neumann elle-même devant les étudiants qui traînaient encore à point d’heure dans cet hôtel-école pleine d’énergie. Patrick vit maintenant avec Anne, une très belle sorte de Barbara jeune qui, dans une de ses performances, a arraché la moquette d’une pièce avec ses dents jusqu’à s’en être pété une. Qui se baigne dans le sang de son lac tous les jours. Quand je l’ai croisée (Patrick m’en avait beaucoup parlé) son sourire délicieux n’entrouvrait qu’à peine sa bouche (jusqu’à lundi sans doute et la pose de la dent-pivot) bien que j’y guettais pourtant – avec avidité sexuelle – la dent cassée. A cause de la phrase de Leslie Kaplan (dans L’Excès-l’usine) qu’avait remarquée Maurice Blanchot : « un merveilleux sourire édenté » – merveilleux parce qu'édenté*. Ce qui nous amène (liaison subtile, directe) à la performance de Cédric Leproust, la performance allumée du soir à l’école du Chelsea Hotel : une des choses les plus belles et incroyables que j’aie vues de ma vie. J’ai donné deux leçons particulières à deux élèves de l’école (de la Manufacture, son vrai nom) qui ont été annoncées comme des « auditions », mais, tout de suite, j’ai compris que c’était, en fait, des leçons particulières. Avec des élèves très doués. Philippe Wicht, le matin, Cédric Leproust, le soir. Les élèves (en tout cas, ces deux-là) sont incroyablement réceptifs (à ce que je dis) et disponibles au travail. J’en ressors renforcé miraculeusement dans ma confiance à faire ce métier et j’en ressors aussi abruti de passion. Je constate, une fois encore, ma fascination. (J’ai su me tenir, j’ai dormi chez l’un et chez l’autre sans geste.) Ce que Philippe a laissé échapper est inoubliable, ce que Cédric a laissé échapper est inoubliable. Je vais plus parler de Cédric Leproust parce qu’avec Cédric Leproust, un spectacle est soudain apparu définitivement (mais c’était le soir). Le spectacle de la danse édentée. Mais Philippe, le matin, était inoubliablement offert, accroupi comme dans la savane préhistorique ou descendu du trottoir de la scène comme Martha Graham descendait de voiture. Etre, c’est faire. Jouer Dieu. Enfin, je ne vais pas me répéter. Avant l’audition d’un comédien, j’ai toujours un peu peur, je me demande si je ne vais pas me retrouver blasé, résigné, déprimé (puisque je propose quand même un peu toujours la même chose). J’en ressors (souvent) les yeux écarquillés et le cœur ouvert (et le désir en fusée) – par la stupéfaction des réponses que je reçois aux équations simples de mon questionnaire. Chaque comédien est capable d’inventer un monde totalement indépendant et nouveau. Je pense que le succès de ces deux séances de deux heures vient aussi du besoin de cours particuliers qu’il y a dans cette école. Ils ont plongé dedans avidement et m’ont dit chacun qu’ils sont pratiquement toujours en groupe dans cette école où ils travaillent beaucoup (« volée » de seize). Voilà ce que je vais proposer à Sarah : si je venais enseigner là, peut-être que ce serait bien, plutôt qu’un cursus traditionnel (workshop), d’imaginer d'intervenir en cours particuliers. C’est curieux, d’ailleurs, je n’étais pas, jusqu’ici, attaché aux solos (« le théâtre commence à deux »), mais, sans doute à cause du travail récent avec Thomas Gonzalez qui sera repris aux Urbaines, je m’y sens, maintenant, violemment nécessaire. Le cas aussi de ce qu’a fait Cédric hier au soir. Solo massif, monstrueux, cosmique, violent, animal, politique, brutal, rock sans musique, sans drogue (mais avec érection) d’une douceur incomparable car la violence et la douceur, au fond du monde, c’est la même chose. (« Le théâtre rend aux hommes la tendresse humaine. ») Solo irrémédiable dans un clair de lune bleu. Au fond d’une cage tectonique, d’un abri anti-atomique, d’un laboratoire noir. De la danse. Du zoo. Du nu. Lucian Freund. Francis Bacon. Alain Platel. Puissance défaite rock, vibrante et morte. Etoile. Toute ma vie est encore aimantée par cet événement. Thomas Gonzalez m’écrit tout d’un coup : « He ho tu vas bien ? Je sais pas pourquoi là d’un coup au milieu de la nuit je m’inquiète… » car j’envoie un message d’amour fou à Cédric Leproust, en l’occurrence une phrase de Shakespeare « And shake the yoke of inauspicious stars / From this worldweary flesh ». Rentrant ensemble le long de la voie ferrée, on passe devant un garage immaculé vide éclairé au néon vitré et glacé (des miroirs sur tout un côté). Je dis à Cédric : voici le lieu dans lequel tu pourrais représenté ce que tu viens de faire. On laisserait les gens dehors, idéalement sur un petit gradin ou même assis sur le talus (l’immense salle hurlante est en contrebas de la voix ferrée). Cédric est tout excité. Je promets d’en parler à Patrick. Le lieu est tout près de l’Arsenic. On ne sait jamais. En fin de soirée, très tard… Si le lieu était impossible à obtenir, j’imagine une autre solution. Le jouer là où on l’a répété, dans la salle de spectacle de la Manufacture (qui est plus loin de l’épicentre du festival). Alors, peut-être, ce serait mieux de ne pas le programmer officiellement (dans le « In ») mais il se présenterait comme une sorte de « Off » – sans annonce autre que le bouche-à-oreille et en pleine nuit animale noire.
* « La plupart des femmes ont un merveilleux sourire édenté. »
J’ai dit à Patrick de Rham que je trouvais Sarah Neumann « allumée » (une découverte tendre) – que je la trouvais « allumée », j’ai détaillé, pour deux raisons : elle venait de me demander d’assister à l’audition du soir d’un élève de l’école (j’en avais donné une le matin) et elle lit mon blog ! Mes auditions sont allumées, y a pas d’autre mot (quand elles sont bonnes, un échange de confiance magique, pisse, foutre et abattement) et, mon blog, vous le fréquentez ! Donc Sarah Neumann est allumée. CQFD. Alors Patrick (peut-être avant que j’aille plus loin) m’a dit qu’ils avaient vécu ensemble plusieurs années – colocataires ? – non, ensemble. Ce qui a d’ailleurs ensuite été évoqué en fin de soirée (après l’audition allumée) par Sarah Neumann elle-même devant les étudiants qui traînaient encore à point d’heure dans cet hôtel-école pleine d’énergie. Patrick vit maintenant avec Anne, une très belle sorte de Barbara jeune qui, dans une de ses performances, a arraché la moquette d’une pièce avec ses dents jusqu’à s’en être pété une. Qui se baigne dans le sang de son lac tous les jours. Quand je l’ai croisée (Patrick m’en avait beaucoup parlé) son sourire délicieux n’entrouvrait qu’à peine sa bouche (jusqu’à lundi sans doute et la pose de la dent-pivot) bien que j’y guettais pourtant – avec avidité sexuelle – la dent cassée. A cause de la phrase de Leslie Kaplan (dans L’Excès-l’usine) qu’avait remarquée Maurice Blanchot : « un merveilleux sourire édenté » – merveilleux parce qu'édenté*. Ce qui nous amène (liaison subtile, directe) à la performance de Cédric Leproust, la performance allumée du soir à l’école du Chelsea Hotel : une des choses les plus belles et incroyables que j’aie vues de ma vie. J’ai donné deux leçons particulières à deux élèves de l’école (de la Manufacture, son vrai nom) qui ont été annoncées comme des « auditions », mais, tout de suite, j’ai compris que c’était, en fait, des leçons particulières. Avec des élèves très doués. Philippe Wicht, le matin, Cédric Leproust, le soir. Les élèves (en tout cas, ces deux-là) sont incroyablement réceptifs (à ce que je dis) et disponibles au travail. J’en ressors renforcé miraculeusement dans ma confiance à faire ce métier et j’en ressors aussi abruti de passion. Je constate, une fois encore, ma fascination. (J’ai su me tenir, j’ai dormi chez l’un et chez l’autre sans geste.) Ce que Philippe a laissé échapper est inoubliable, ce que Cédric a laissé échapper est inoubliable. Je vais plus parler de Cédric Leproust parce qu’avec Cédric Leproust, un spectacle est soudain apparu définitivement (mais c’était le soir). Le spectacle de la danse édentée. Mais Philippe, le matin, était inoubliablement offert, accroupi comme dans la savane préhistorique ou descendu du trottoir de la scène comme Martha Graham descendait de voiture. Etre, c’est faire. Jouer Dieu. Enfin, je ne vais pas me répéter. Avant l’audition d’un comédien, j’ai toujours un peu peur, je me demande si je ne vais pas me retrouver blasé, résigné, déprimé (puisque je propose quand même un peu toujours la même chose). J’en ressors (souvent) les yeux écarquillés et le cœur ouvert (et le désir en fusée) – par la stupéfaction des réponses que je reçois aux équations simples de mon questionnaire. Chaque comédien est capable d’inventer un monde totalement indépendant et nouveau. Je pense que le succès de ces deux séances de deux heures vient aussi du besoin de cours particuliers qu’il y a dans cette école. Ils ont plongé dedans avidement et m’ont dit chacun qu’ils sont pratiquement toujours en groupe dans cette école où ils travaillent beaucoup (« volée » de seize). Voilà ce que je vais proposer à Sarah : si je venais enseigner là, peut-être que ce serait bien, plutôt qu’un cursus traditionnel (workshop), d’imaginer d'intervenir en cours particuliers. C’est curieux, d’ailleurs, je n’étais pas, jusqu’ici, attaché aux solos (« le théâtre commence à deux »), mais, sans doute à cause du travail récent avec Thomas Gonzalez qui sera repris aux Urbaines, je m’y sens, maintenant, violemment nécessaire. Le cas aussi de ce qu’a fait Cédric hier au soir. Solo massif, monstrueux, cosmique, violent, animal, politique, brutal, rock sans musique, sans drogue (mais avec érection) d’une douceur incomparable car la violence et la douceur, au fond du monde, c’est la même chose. (« Le théâtre rend aux hommes la tendresse humaine. ») Solo irrémédiable dans un clair de lune bleu. Au fond d’une cage tectonique, d’un abri anti-atomique, d’un laboratoire noir. De la danse. Du zoo. Du nu. Lucian Freund. Francis Bacon. Alain Platel. Puissance défaite rock, vibrante et morte. Etoile. Toute ma vie est encore aimantée par cet événement. Thomas Gonzalez m’écrit tout d’un coup : « He ho tu vas bien ? Je sais pas pourquoi là d’un coup au milieu de la nuit je m’inquiète… » car j’envoie un message d’amour fou à Cédric Leproust, en l’occurrence une phrase de Shakespeare « And shake the yoke of inauspicious stars / From this worldweary flesh ». Rentrant ensemble le long de la voie ferrée, on passe devant un garage immaculé vide éclairé au néon vitré et glacé (des miroirs sur tout un côté). Je dis à Cédric : voici le lieu dans lequel tu pourrais représenté ce que tu viens de faire. On laisserait les gens dehors, idéalement sur un petit gradin ou même assis sur le talus (l’immense salle hurlante est en contrebas de la voix ferrée). Cédric est tout excité. Je promets d’en parler à Patrick. Le lieu est tout près de l’Arsenic. On ne sait jamais. En fin de soirée, très tard… Si le lieu était impossible à obtenir, j’imagine une autre solution. Le jouer là où on l’a répété, dans la salle de spectacle de la Manufacture (qui est plus loin de l’épicentre du festival). Alors, peut-être, ce serait mieux de ne pas le programmer officiellement (dans le « In ») mais il se présenterait comme une sorte de « Off » – sans annonce autre que le bouche-à-oreille et en pleine nuit animale noire.
* « La plupart des femmes ont un merveilleux sourire édenté. »
Labels: lausanne
2 Comments:
Que de bonnes nouvelles. Avec beaucoup de gens que j'affectionne. Suis heureux de lire tout ça.
Oui beaucoup d'épaisseur.
Beau
Je n'ai pas bien compris ce que YNG demandait aux acteurs mais c'est beau.
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