Monday, May 09, 2011

Pierre Bergé

Une nouvelle fois le spectacle de Laurent Chétouane. Quand on aime, on ne compte pas. C’est beau de voir les danseurs plus détendus (c’est la dernière et le bouche à oreille a fonctionné, on a refusé du monde). Dès le début (nous rentrons avant les autres, sans billets), les danseurs sont liquides, Laurent se joue avec eux, esquisse des pas de danse (comme si ç’allait être lui). Il s’approche de nous, demande si Duncqueue et moi sommes un couple, plaisante… Il dira après que tout ça est volontaire de sa part pour que les danseurs soient heureux, juste heureux, c’est un travail très difficile qu’ils ont fait, qu’il leur a demandé, ils voulaient juste les remercier : soyez heureux, faites-le dans le bonheur. Il est ébloui de leur talent, ce que je comprends très bien, je suis ainsi. Je peux dire tant de bien de mes spectacles parce qu’il sont faits par les interprètes et que je suis réellement bouleversé par leur travail, leur lumière, leur amour (et, leur peur, je leur en libère moi aussi à la première occasion). Correspondance, intimité avec le spectacle de Laurent Chétouane. (Mais je sais que ce n’est même pas moi…) J’ai envie de demander aux jeunes : faites une chose aussi belle. Et ce ne serait même pas stupide. J’ai raconté tout à l’heure le rêve courant de devoir remplacer au pied levé quelqu’un sur scène. Moi, c’est Noureev. On m’appelle, on me demande, je dis que c’est impossible, que je ne connais même pas la pièce, on me convainc après plus ou moins de résistance (« Ça va bien se passer… ») et je le fais. Le rêve n’est pas si stupide parce que c’est ce qu’il se passe réellement. Le spectateur – surtout avec Noureev – danse littéralement. Noureev m’amène à Pierre Bergé (sans doute parce que je me souviens qu’il se déplaçait partout dans le monde pour le voir). Je raconte après le spectacle de Laurent et buvant de ce vin rouge portugais à quatre euros qui me rend immédiatement saoul (j’ai mes petites habitudes), l’anecdote de Pierre Bergé faisant passer un mot en loge après Intérieur, de Maurice Maeterlinck, que mettait en scène Claude Régy : « Cela est admirable et je sais ce que ce mot veut dire Pierre Bergé » J’ai une autre anecdote (j’enchaîne), c’est Marguerite Duras qui se plaint à Claude Régy : « Avec ma gueule d’intellectuelle… » et Régy, du tac au tac : « T’as pas une gueule d’intellectuelle, toi, t’es un animal. » Après un blanc (je crois que c’était au téléphone), Marguerite Duras : « Quel animal ? » Régy n’a pas pu répondre. Les Allemands sont très sensibles aux femmes enceintes. C’est un plaisir de se balader avec Ambre (enceinte de cinq mois) dans la ville : elle est sans cesse abordée avec une gentillesse non feinte, réelle pour quelque conseil ou amitié diverse. C’est étrange, Ambre a déjà du lait qui coule de ses seins (quand elle presse le téton, elle nous l’a montré). C’est étrange parce que je pensais que ça n’arrivait que plus tard, au moment de la tétée. Ambre est merveilleuse et veut apprendre une chanson par jour. Elle est radieuse. Je me souviens que Valérie Dréville ne s’était arrêtée que quinze jours avant la naissance de sa fille. Il n’y a pas de contradiction, c’est vrai, entre notre métier – en tout cas, comme Laurent Chétouane et moi le concevons – et la naissance d’un enfant, au contraire. Valérie parle de Claude Régy dans un dvd que Anne a apporté*, c’est beau. Ambre a mis la robe de mariée blanche comme cygne tout à l’heure dans l’appartement de lumière. (L’appartement ouvert de tout côté et en plein ciel, je suis obligé de mettre des lunettes de soleil pour travailler.) Enceinte avec la robe de mariée. Elle disait du Dante, des paroles de Francesca. Bien qu’ils soient en enfer, elle et son ami sont heureux parce qu’ils y sont ensemble. Ils ont eu une mort unique (Baudelaire) et ont été placés ensemble pour l’éternité dans un tourbillon, une tempête perpétuelle qui leur déchire les âmes – mais ensemble. Bouleversant travail aussi de Nathan Bernat et Karine Piveteau à partir d’Elfriede Jelinek (ils me font découvrir cet auteur). Mais je ne peux pas parler de tout ni même de tout le monde. D’ailleurs je ne peux pas parler, c’est juste que je suis un peu saoul. Quand je suis bourré, je bute sur les marches allemandes qui ne sont pas à la même hauteur (qu’en France). J'aime la vie, je regrette la vie. Demain nous irons au lac. Il faut que l'eau lave les informations. Il fera plus chaud encore qu'aujourd'hui (on annonce vingt-sept), peut-être un peu moins beau. (Laurent promet de revenir nous voir le 22.)






* Un extrait de Claude Régy, le passeur, ça doit être un film d'Alexandre.

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