Tuesday, August 02, 2011

Déperdition historique de la capacité à aimer

Le fond de la possession, avoir quand même un frère, avoir quand même une mère, un père, des neveux… Avoir quand même le luxe sous la lucarne – et les voix qu’on entend autour le long de la journée – avoir quand même… Aujourd’hui ma mère a perdu une dent. Juste devant. Je lui ai dit la phrase de Leslie Kaplan qu’avait remarquée Maurice Blanchot, tirée de L’Excès-l’usine : « Les femmes ont un merveilleux sourire édenté. » D’ailleurs, ça me fait penser, il faut que je la photographie ! Il fait beau, il fait chaud, la maison s’ouvre jusqu’à la mer. Les champs descendent – et remontent – de la plage à la plage. C’est comme une descente de lit, c’est un terrain frais, on regarde les pâquerettes, les boutons d’or avec sourire. Le vert aussi est reconnaissable. Que mes parents vivent avec névrose n’est pas si important. Je suis qui je suis. Je suis celui qui suis. (Comme disait l’autre.) Je serai où je serai. Tonton René, le frère de mon grand-père avait dit, quand il était petit et qu’on lui avait demandé qui il était : « Le fils à papa. » et où il habitait : « A la maison. » Ça va être dur de photographier ma mère. (Je reprends mon journal.) J’ai essayé tout à l’heure, à la lueur du crépuscule, pas question qu’elle ouvre la bouche. Elle ne comprend pas le sens du « merveilleux sourire édenté ». Pourtant c’est une merveille, c’est vrai, si elle est heureuse et si elle sourit avec cette incisive manquante. Une merveille. Je lui ai dit qu’elle était presque prête à être engagée dans un spectacle de moi – à condition qu’elle garde cette dent manquante. Mon père est illico aller chercher la couverture mitée qu’il conserve pour jouer à la place de Mathilde Monnier à Paris – c’est vrai, elle est parfaite et lui va comme un gant : on dirait du John Galliano. Ma mère est plus rétive, elle ne comprend pas, elle ne comprend pas comme la vie est. Idéale.

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