Tuesday, October 04, 2011

La Mort d'Ivan Ilitch, dossier de presse




La Mort d'Ivan Ilitch
d'Yves-Noël Genod
avec Thomas Gonzalez


Depuis huit ans, Yves-Noël Genod a proposé plus de quarante spectacles et un très grand nombre de performances. Ces spectacles ont marié à leur manière le savant et le profane, le spectaculaire et le radical, l'émotion et la distanciation, les textes classiques et le Pop Art. Souvent sur le fil du rasoir, ces spectacles prennent au sérieux le dérisoire et se déploient avec une grande liberté : « Le rien, mais avec splendeur », voilà le credo de cet homme qui a le goût des citations… Petite revue de détail de son spectacle et de sa méthode à partir de ses mots et avec ceux des autres.



Quand vous avez créé Hamlet, vous avez dit qu'il fallait peut-être juste une idée de départ. Cette fois, c'était laquelle ?
Coco Chanel a arrêté la mode après la guerre pendant douze ans. Quand elle a repris, on lui a demandé : « Mademoiselle Chanel, comment sera votre prochaine collection ? » Elle a répondu qu'elle ne pouvait pas le dire, puisqu'elle créait ses robes sur les mannequins. Je formule les choses ainsi, je ne travaille qu’à partir des comédiens eux-mêmes et je veux croire, à mon petit niveau, qu’il s’agit de haute couture ! Pour La Mort d’Ivan Ilitch, comme toujours, j’ai donc éloigné toute idée. Pour Hamlet, l’ « idée de départ » a été d’ailleurs très faible puisqu’il ne s’agissait que du titre. Ça m’amusait de reprendre un titre du domaine public. (J’ai d’ailleurs produit trois spectacles très différents sous ce même nom.) Je suis donc parti, comme toujours, de ma fascination pour un acteur, ici Thomas Gonzalez, que j’ai placé dans un lieu, celui que l’on me donnait, dans les conditions où on me le donnait (la belle salle de Montévidéo, à Marseille) : trois jours seulement de répétition, pas de technicien ni pour le son ni pour la lumière, un tapis de danse, un pendrillonage noir prévus pour l’ensemble du festival Actoral, un gradin plat... Avant de nous laisser les clés, quelqu'un a dit : « Si vous voulez, on a des fluos, je peux vous en brancher. » Ce qui fut fait. Nous n’en utilisons qu’un, en fait. Toujours utiliser encore moins du peu qu’on nous donne. Toujours donner beaucoup plus que ce qu’on attend de nous. Tous mes spectacles ont été bâtis sur ces deux principes. Ils apparaissent alors que personne ne les attend. Mais c’est l’essence de la création artistique : personne n’en a envie, personne ne sait. Par définition, ce qui est créé ne manquerait absolument pas s’il ne l’était pas. Un fluo, c’est tout. Thomas est acteur mais aussi chanteur, nous avons travaillé à partir de ses capacités. Je n’apprends jamais rien aux acteurs (sauf peut-être en stage), nous n’avons pas le temps. Je prends les acteurs tels quels. Plus les acteurs sont capables de jouer, plus c’est merveilleux. Mais j’ai découvert que mon père qui n’avait jamais joué de sa vie était un merveilleux acteur, un des meilleurs avec lequel j’ai travaillé. Je voudrais dire quelque chose sur le titre qui n’est venu qu’à la fin, cette fois. La Mort d'Ivan Ilitch fait référence à une nouvelle de Léon Tolstoï absolument bouleversante sur la lumière. Mais le titre apporte de la gravité, du sombre. La nouvelle de Léon Tolstoï est extraordinairement belle, mais seulement pour ceux qui l’ont lue. Le titre apporte le mot « mort », mais il ne s’agit pas de la mort. C’est même tout à fait le contraire. Il s’agirait plutôt du « scandale » de la vie ! Comme spectateur, je n’aime pas les solos. Je pense comme Louis Jouvet – ou peut-être Jacques Copeau – : « Le théâtre commence à deux. » C’est Jean-Marie Hordé qui m’avait cité cette phrase, il y a huit ans, quand je l’avais rencontré après mon premier one man show, En attendant Genod, où je n’étais déjà pas du tout seul (il y avait avec moi Jonathan Capdevielle.) Il m’avait dit : « En effet, Louis Jouvet (ou Jacques Copeau) disait… » Eh bien, je vais dire pourquoi je pense que ce travail avec Thomas Gonzalez ne peut être, pour une fois, qu’un solo. J’ai essayé que ça soit un duo, j’avais cette possibilité quand nous avons repris le spectacle à Lausanne, au festival des Urbaines. Il y a quelqu’un là-bas que j’aime beaucoup, à l’école de la Manufacture. J’ai essayé, mais ça n’a pas marché et je crois maintenant savoir pourquoi. C’est l’histoire d’Œdipe. Œdipe, après toutes ses aventures merveilleuses que nous connaissons bien, quand il s’est aperçu qu’il avait tué son père, couché avec sa mère, se crève les yeux, délaisse le pouvoir et part sur les routes, « faire du camping », pourrait-on dire, avec la préférée de ses enfants, Antigone. Seulement elle et lui, voyez. Et puis il y a un moment où il dit à Antigone : « Maintenant, là où je vais, même toi, tu ne peux pas m’accompagner…» Et c’est ce moment où Œdipe a tout quitté et où il n’est pas encore mort, ce parcours-là, où il n’est pas encore entré dans l’Hadès, descendu aux enfers que Jacques Lacan appelle (mystérieusement) : le désir. Il dit même que si une psychanalyse ne va pas explorer à cet endroit-là qu’il nomme le désir, elle n’a rien produit, elle n’est pas une psychanalyse… Je pense que c’est ce moment-là entre le tout quitté et la mort qui est évoqué.



Vous dites des clichés qu'« ils sont ce qu'il y a de plus profond »...
Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Jorge Luis Borges. « Il y eut un soir, il y eut un matin. » Voilà le début de la Genèse. Marguerite Duras m’avait dit qu'on ne pouvait rien écrire de mieux. C'est ça, les clichés. Marguerite Duras parlait aussi des « mots clés » : table, lumière, fenêtre, sable, vent, nuit… Dans le spectacle, on ne peut pas écrire mieux que les chansons que Thomas chante... Hors ce sont des chansons populaires. Jorge Luis Borges, quand il était jeune, croyait en l' « expression », le mot juste, la métaphore exacte. Puis, en vieillissant, il s'est mis à ne plus croire qu’en l' « allusion » : quand on écrit, on réveille des souvenirs, des associations chez le lecteur. Si on écrit avec des mots qui ne disent rien au lecteur, des mots inconnus, il ne se passera rien. Donc on ne peut faire que cela : aider le lecteur – en l’occurrence le spectateur – à imaginer. C’est le conseil que donne Michel Houellebecq à un jeune romancier : « Ne jamais oublier que le lecteur fait cinquante pour cent du travail. »



Quand vous parlez du jeu, vous dites que les comédiens doivent « déployer leur être »…
C'est le minimum ! Mais, vous savez, c’est très agréable… Il faut être comme une étoile et briller dans toutes les directions. Même morte, une étoile brille encore. Les acteurs jouent en constellations. Il ne faut d’ailleurs pas que l’acteur cherche à affirmer sa beauté, sa force ni son intelligence personnelle. Il ne faut pas « célébrer l’humain ». La virtuosité peut être un piège. C’est mon ami Laurent Chétouane, chorégraphe et metteur en scène, qui le remarque : « Quand un acteur veut montrer qu’il est fort et beau, je lui dis : regarde dehors, c’est la misère... » Je parle aussi souvent de liberté. Je dis souvent aux acteurs que les spectacles doivent être des leçons de liberté. J'aime beaucoup cette phrase d’Arthur Rimbaud : « Ça veut dire ce que ça veut dire, littéralement et dans tous les sens. » Rien n'est comme la société voudrait que ce soit, chacun assigné à sa fonction, à son identité. La liberté est toujours contre la société, la liberté poétique.



Vous citez Kairos, la déesse du bon geste, au bon endroit, au bon moment, c'est ce à quoi vous aspirez ?
C'est Mallarmé : « Rien n'aura eu lieu que le lieu ». Quand les salles sont belles, je les utilise vraiment, comme un instrument, une caisse de résonance. J'aime beaucoup cette anecdote que m'avait racontée Stéphane Wargnier, qui s'occupait à l’époque de la communication chez Hermès (et qui est maintenant le président de mon association) : Quand il y avait un événement à faire, Jean-Louis Dumas lui disait : « On va voir le lieu, on décide d'un moment et ensuite on fait quelque chose. » Toujours dans cet ordre. Voilà. La mode et le luxe me conviennent très bien !

Je voudrais ajouter à toutes ces citations un vers de Guillaume Apollinaire que je viens de découvrir. C’est Stéphane Hessel, le fils d’Helen Hessel, vous savez, la femme de Jules et Jim qui l’a prononcé sur le plateau du « Grand journal », hier soir. C’est peut-être le plus beau qu’il ait écrit, disait Stéphane Hessel, c’était merveilleux d’entendre ça à la télévision, ce vers du temps de la jeunesse de sa mère. Il montre en tout cas l’ambition où nous nous tenons, je crois, avec La Mort d’Ivan Ilitch :

« Nous voulons explorer la bonté, contrée énorme où tout se tait »



Entretien réalisé par Laure Dautzenberg.

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