Ce calme immense de la mélancolie ou voulais-je dire de la météorite…
J’entends, dans ma maison (l’hôtel), des bruits de voix. Comment résonner ? Comment attendre ? Comment ne rien dire ? Lire une ligne du blog de Pierre (le blog de pierre). Et puis – la fenêtre – énumérer. Enumérer les bonheurs de l’île. L’île rend obsolète la métropole, la télévision de la métropole. Je me suis forcé à regarder « Le Petit journal », quelle lourdeur… Toujours les infatigables, toujours Nicolas Sarkozy tous les jours en visite quelque part et toujours « Le Petit journal » qui le suit comme tous les jours... Les journaux de la métropole aussi semblent faux, peuplés de stress, de combats, d’épisodes judiciaires… Les comédiens sont des fous, mais je comprends les comédiens. Blaise Pascal ne dit-il pas : « L’homme est si naturellement fou que c’est l’être encore que de ne pas l’être. » (Nathalie Sarraute citait cette phrase*) ? Avec mes amis, Felix M. Ott et Philippe Tlokinski, je suis servi ! Nous sommes trois fous, mais nous nous tenons en équilibre sur la vie. Quel talent incroyable (je le vois sur eux) que d’être fou ! Toujours sur le fil, toujours sérieusement sur le fil, la vraie vie (pas d’états d’âme)… La représentation s’est très bien passée, nous avons eu beaucoup de plaisir, le public aussi. Les deux gamins se sont amusés. Felix en riait encore. Il en riait tellement qu’il n’a pas dormi de la nuit. Et puis aussi la maladie, complètement malade. Il avait faim aussi… Oh, non, j’arrête… Je ne peux pas raconter la vie de Felix ou celle de Philippe, je ne peux pas… Il a pris un petit-déjeuner à six heures (je termine ma phrase, mais je m’arrête). On a été dans la montagne. C’est pas loin, c’est tout près. Les cascades, tout ça. Quand même, tout est à sec. On n’a trouvé une rivière qu’à la toute fin, dans le noir. Je me suis baigné, mais les bichons ont eu peur. On est rentré manger au Barachois, encore près de la mer – je veux dire, près de l’eau noire –, celle-ci aux requins. Il n’y a qu’un danger dans l’île, ce sont les requins qui l’entourent et qui, en ce moment, on ne sait pas pourquoi, sont particulièrement excités (on ne peut pas mettre un orteil, on se le fait bouffer). Mais, sur l’île elle-même, il n’y a pas un serpent venimeux, pas un scorpion, pas une mygale dans la végétation tropicale. C’est pour ça que je n’ai pas eu peur dans l’eau noire de la rivière, au contraire, sacrée. Je pensais à Jorge Luis Borges, sa nouvelle, L’Immortel, l’homme qui cherche partout sur la terre le fleuve qui donne l’immortalité (puisqu’il y en a un). Là-haut, dans la montagne, on a visité une maison coloniale merveilleuse, une sorte de maison d'Anton Tchékhov, une maison de poupée, entourée – ouverte comme en été – de végétation. Je me souviens de quoi ? Le guide. D’abord un homme, ensuite une femme. J’ai préféré la femme. Elle a parlé d’un bambou qui grandit d’un mètre cinquante par jour : on l’entend et on le voit grandir. (On l’utilisait comme élément de torture en Asie, on mettait quelqu’un sur une chaise et ça l’empalait.) On nous a présenté les bois qui ne pourrissent jamais : le bois de fer et le bois de natte. On nous a présenté le bois dont on ne fait pas les lits car il est anaphrodisiaque, qu’on appelle aussi le bois de contrebande. La pomme de terre qui pousse en l’air et qu’on appelle pomme en l’air. Le cochon végétal (parce que tout est bon, de la racine au fruit), le pain de singe, fruit du baobab… Des chapeaux qui ne pèsent rien. La console pour consoler (la fiancée). Le village s’appelle Hell-Bourg, mais ça n’a rien à voir avec l’enfer, soit-disant – comme Nevers qui n’a rien à voir avec jamais –, mais avec le nom d’un gouverneur qui s’appelait Monsieur de Hell. Un endroit merveilleux, de toute façon. On était assommé dans l’après-midi parce qu’on n'a pas pu partir tôt, mais la soirée a été magnifique. Et comme toujours sous les tropiques, la nuit noire tombe si vite. Je pensais, je l’ai dit à Felix pendant qu’on attendait Philippe qui s’était fait rouvrir l’atelier d’objets en bambou pour touristes (il veut ramener des cadeaux pour ses femmes en Pologne), qu’on doit bien dormir à Hell-Bourg, l’air y est très pur, on se sent protégé. La montagne, moi, me protège. Je suis né là-dedans, c’était comme ça, c’était protecteur, c’était le cœur, rien d’oppressant, la force, l’odeur, la végétation comme sur les murs de Patrick Blanc.
* « Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n'être pas fou. »
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