Sunday, February 19, 2012

Fleur d'amour, fantôme sans nom




Audoin Desforges m'envoie deux photos qu'il a faites pour un catalogue d'art et qu'il me demande de commenter. L'exercice est difficile (pour moi), je lui raconte que Christian Rizzo m'avait aussi demandé qqch une fois, mais qui n'avait pas été fameux (je ne pense pas qu'il l'avait utilisé). Je ne suis pas professionnel, c'est-à-dire. Si j'écris parfois une phrase ou deux, c'est vraiment que ça me passe par la tête ! Une commande, c'est autre chose... Il faut un peu de métier, quand même... Parler d'une chose précise. En tout cas, les photos sont sublimes, vous ne trouvez pas ?

La couleur verte et la couleur rouge. Elles ont un nom, elles sont une manière de voir, elles sont un voile. Elles sont le plasma et le placenta de la vie – moyenâgeuse, virtuelle, vivante – vie de la révolution. Et des élections. (A défaut.) François-René de Chateaubriand écrit, parlant de ce temps plus intense, plus libre, quant au vivant, au moment de la Révolution française : « Le genre humain en vacance se promène dans la rue, débarrassé de ses pédagogues, rentré pour un moment dans l’état de nature, et ne recommençant à sentir la nécessité du frein social, que lorsqu’il porte le joug des nouveaux tyrans enfantés par la licence. » Marguerite Duras parlait aussi de cet homme qui s’était déshabillé place de la Bastille, en mai 68, qui avait posé ses vêtements et, peut-être, ses papiers, son portefeuille, ses clés et était parti entièrement seul dans la ville (je l’imagine toujours se diriger plutôt vers le centre de la ville, par la rue Saint-Antoine plutôt que par son Faubourg). Marguerite Duras ajoute : comme il était très beau, on mit longtemps à l’arrêter. Les sacs plastiques, désormais. Ce sont des objets émouvants, ils vont disparaître. Mais ils sont vivants comme le XXème siècle, vivants comme les peuplades. Les sacs plastiques sont partout, méduses inoffensives, apprivoisées. Ils sont nombreux en Inde. En Inde et dans les cœurs. Et ce qu’ils montrent et ce qu’ils cachent, c’est ce qu’on voudrait toucher, l’oreille, la bouche. Le front, le sourcil, la narine. Le corps est banal comme un piédestal, mais le sac plastique révèle l'âme, la personne – l’amour. Les têtes sont protégées, sur-momifiées par le gel vivant de la photographie. Elles enregistrent, elles enregistrent, avec des moyens légers, l’incarnation. On peut regarder pour toujours l’œuvre de la photographie en relief. On peut respirer comme Laura Palmer entourée du plastique de son cadavre. Marguerite Duras disait encore : « Pour une fois que nous ne sommes pas morts. » Les sculptures sont vivantes et émouvantes, le plâtre est frais. Je crois que les photos ont été faites la nuit dernière. Avec un peu de chance, je rencontrerai leur viande encore vivante. Leur chair.

Yves-Noël Genod

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