Sunday, April 15, 2012

Seuil et voyage




« Il y a bien des chemins sans voyageur. Il y a encore plus de voyageurs qui n'ont pas leur sentier. »

« Il fallait, comme pour beaucoup de choses de ce monde, se contenter de rester sur le seuil. »



Journée de pluie insensée – quel temps fera-t-il demain ? C’est Rome, mais je me suis enfui de Rome. Pour un voyage étrange, je dirais même insensé. Des heures de bus dans des banlieues interminables, des embouteillages, faut dire, des campagnes enfin, des bouts de pays – tout ça sous la pluie, la buée des vitres et visite ensuite, sous la pluie, d’un lieu sinistre – mais somptueux. Mais sinistre comme c’était. La villa Adriana. Un cauchemar. J’hésite à en parler, on va me prendre pour un con. Pas compris, en tout cas, de quoi ce voyage était le sens.
Quel bonheur de revenir en ville – toujours sous la pluie – et de voir une merveille ! Le Moise, de Michel-Ange.

J’ai lu un très beau livre, très très émouvant, écrit très gros, très bon pour mes yeux, L’Odeur de L’Inde, de Pier Paolo Pasolini, publié en 1962. Je l’ai acheté à la librairie française à côté de l’église Saint-Louis-des-Français, l’une des églises des Caravage, à Rome.

Rome est un pays merveilleux, c’est juste merveilleux ! Il y a des Caravage qu’on peut voir gratuitement dans des églises, très bien restaurés (je ne les imagine pas d’origine, ils sont comme tout neufs, tout frais, tout vivants, on penserait rencontrer ce peintre ou ces modèles au coin de la rue – et les rues et les coins sont si nombreux, à Rome… )

Quelle folie, cette pluie sur Rome, sous Rome ! De partout. Quelle fête de l’effacement !

J’ai lu des horreurs sur la villa Adriana. C’est-à-dire, en arrivant et pour me réchauffer un peu, j’étais déjà trempé, je suis entré dans la librairie-souvenirs et, là, j’ai lu des extraits en français des Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar. C’était horrible, ce qu’elle racontait, horriblement raconté. Complètement kitsch. Son style est exactement celui de Philippe Le Guillou, mais je le supporte chez Philippe Le Guillou parce que c’est un ami, mais je découvre, là, que c’est probablement le style de toute l’Académie Française. Je me souviens de Nathalie Sarraute qui répondait à un journaliste, je ne sais pas, qui la comparait peut-être à Marguerite Yourcenar, il y en a des imbéciles : « Elle n’a rien inventé, cette femme… » Ensuite, dans ces ruines immenses et labyrinthiques, sous la pluie, j’étais comme sali… je n’appréciais rien ni même la solitude. D’ailleurs, il n’y avait rien – à part la vue, ennuagée, les oliviers, les prairies. Les ruines. Au mieux : Versailles (en ruine), au pire : Oradour. Ensuite une atroce exposition m’expliqua l’histoire d’Antinoüs. Ça ne me fit pas rêver. Trop pédé pour être honnête ! Et ma vue et mon imaginaire étaient déformés par cette sordide sorcière.

C’est difficile de trouver ce que l’on cherche dans les livres, très très difficile. Plus difficile sans doute – ou peut-être – que dans la vie. Les livres sont, en général – dans leur grande majorité – et je ne parle que des plus célèbres –, très très mal écrit. C’est pour ça que je ne pourrais jamais rêver d’être un écrivain. Parce que je pense ça. Mêmes les écrivains les plus adorés n’ont parfois écrit qu’un livre, Les Vagues, pour Virginia Woolf, Le Ravissement de Lol V. Stein, pour Marguerite Duras. Ça suffit bien, d’ailleurs. Il y en a d’autres qui « écrivent » moins et qui écrivent, du coup, beaucoup plus. Jorge Luis Borges.

Les livres sont à l’état naturel, il y a de tout dans les livres, des ruines… A boire et à manger. Il y a ce qu’on y trouve, comme dans le monde. Le monde est paradis terrestre, mais enfer terrestre, jardin. Jardin déglingué et d’un luxe misérable, putride… A la télévision, passait une émission intitulée : « Miseria e Nobiltà », Misère et Noblesse…

C’est seulement quand la fatigue pénètre au fin fond de la nuit que l’horreur devient supportable… Depuis toujours, la nuit est mon alliée… La nuit s’en est allée, cet infini, disait Gustave Flaubert, me rassure…

« Plus les télescopes seront parfaits, et plus les étoiles seront nombreuses. Nous sommes condamnés à rouler dans les ténèbres et dans les larmes.
Quand je regarde une des petites étoiles de la voie lactée, je me dis que la terre n'est pas plus grande que l'une de ces étincelles. – Et moi qui gravite une minute sur cette étincelle, qui suis-je donc, que sommes-nous ? Ce sentiment de mon infimité, de mon néant, me rassure. Il me semble être devenu un grain de poussière perdu dans l'espace, et pourtant je fais partie de cette grandeur illimitée qui m'enveloppe. Je n'ai jamais compris que cela fût désespérant. Car il se pourrait bien qu'il n'y eût rien du tout, derrière le rideau noir. L'infini, d'ailleurs, submerge toutes nos conceptions. Et du moment qu'il est, pourquoi y aurait-il un but à une chose aussi relative que nous ? »

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