Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles
« Si j'étais un exploité (ce qu'à Dieu ne plaise), je pense
que je ne laisserais personne dire que le monde est en crise. La crise est le
mot préféré des imbéciles et des puissants. Il permet de diluer les
responsabilités individuelles (voyez l'usage de ce terme en politique toutes
les fois qu'il s'agit d'excuser un bilan particulièrement déplorable), ou, ce
qui revient au même, de demander aux pauvres de contribuer solidairement au
renflouement des riches. Sans ce petit mot diabolique, il serait impossible de
réaliser ce prodige : demander à ceux qui n'ont rien fait de se serrer la
ceinture. Même Dieu n'y avait pas pensé : punir l'innocent pour les péchés du
coupable. On comprend que ce mot soit invoqué par les banquiers, repris par les
experts, puis relayé par tous les journalistes du royaume. Le comble est
atteint lorsque le bas peuple, croyant faire montre d'une admirable lucidité
politique, paie son tribut au Souverain Poncif en parodiant l'inquiétude des
élites. Il est vrai que se soucier du futur vous donne un air intelligent sur
un plateau de télévision. Il n'en reste pas moins que, si j'étais un exploité,
je me méfierais comme de la peste du mot « crise ». Quel terme lui
opposer ? Voltaire prête à Leibniz la formule suivante : tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes possibles. Etant donné l'usage éhonté que les
partisans de l'austérité font du pessimisme ambiant, j'ose affirmer qu'elle
constitue une excellente formule contre les prophètes de malheur qui
n'attendent que le malheur pour enfoncer la tête du peuple sous l'eau. »
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