Les Dauphins
Cher M.
Yves-Noël Genod,
Je suis
heureuse de vous écrire. Voilà. Je voudrais participer au stage « Jouer Dieu ».
Depuis quelques
semaines, je tourne autour du pot et gribouille des bribes éparses, en pensant
à vous. C’est parfois difficile quand c’est important. Il y a deux ans, j’ai eu
entre les mains le descriptif de la première édition de votre stage « Jouer
Dieu ». J’ai été immédiatement saisie par le désir d’y participer et aussitôt
figée par l’impossibilité matérielle de le faire. Vous me direz, rien n’est
jamais tout à fait impossible.
A ce moment-là,
en tout cas, il me semblait irréalisable de m’échapper pour un stage. Je venais
d’accepter un contrat en tant que médiatrice culturelle, dans un CDN. Full time
job. Au début, j’étais curieuse de rencontrer les publics, de découvrir la
réalité concrète cachée derrière l’étendard de la « démocratisation culturelle
» mais au fil du temps j’ai commencé à dépérir comme une plante sans soleil.
Trop de bien-pensance. Trop de communication. Trop de morale. Manque d’air,
manque d’art, manque de vie.
Lorsque j’ai
claqué la porte, en janvier dernier, la joie pulsait dans mes veines. J’avais
conscience d’avoir traversé un désert nécessaire. Pendant presque deux ans, je
me suis délibérément exilée et pendant cet exil, sans que je m’en aperçoive,
une mutation s’est produite : deux grandes ailes de papillon ont poussé dans
mon dos. Très vite j’ai repensé à vous, et à jouer Dieu.
Votre travail
me fait penser à de la poésie en 3 dimensions. Je m’y sens comme dans un rêve.
Comme si les pages du livre se transformaient en liquide, comme si nous nagions
tous ensemble, artistes et spectateurs, comme si chaque mouvement provoquait un
ondoiement subtil et pénétrant, une ondulation qui se partage et voyage.
Il s’y passe
quelque chose d’essentiel. La liberté libre. La joie dont parle Deleuze.
Quelque chose qui console et qui met en mouvement.
Je suis souvent
empêtrée dans mon appétit débordant d’expériences. Toujours cette névrose de
vouloir tout embrasser. Lire tous les livres, arpenter tous les pays, vivre
toutes les vies… Parfois ça serre le cœur et ça émeut aux larmes. La vieille
colère de devoir mourir.
Peut-être que
ce qui me touche dans le temps et dans l’espace de vos spectacles, c’est qu’on
s’y sent éternels. Ou peut-être qu’on s’en fout, justement, tout sidérés que
l’on est de sentir ce qui est là, de guetter la prochaine fulgurance, la
prochaine beauté… Ça fait sacrément du bien ! On se sent riches. Incroyables.
Magnifiquement incompréhensibles. Les acteurs sont si beaux à voir dans le
plaisir. Si intarissables. L’autre jour, je vous écoutais dans une émission, à
la radio, et vous disiez que vous conceviez la vie et la scène comme un jardin,
comme un Eden. Alors voilà, j’ai envie de me balader dans l’Eden avec une meute
d’acteurs prêts à faire feu de tout bois.
Je suis une
jeune femme, je suis petite et rousse. Comme vous pourrez peut-être le
remarquer, je ressemble à un extra-terrestre qui vient de descendre de sa
soucoupe. Je suis comédienne, j’ai une formation lambda, (le trio :
conservatoire, cours privé, école publique) et un parcours professionnel
kaléidoscopique. Je me promène toujours avec des livres. Trois, en principe. Un
ouvrage en langue étrangère, un recueil de poésie et un roman. Il peut s’y
ajouter un peu de philosophie. Je déteste la communication, mais j’adore le
langage.
J’ai une
mystérieuse passion pour les voix. Les parlées bien sûr, je trouve qu’on y
entend tellement de choses, d’univers, de mondes engloutis. Je suis fascinée
par le rapport entre la voix et l’écriture. En toute logique, j’adore la radio
(surtout France Cul, il faut bien le dire). J’ai une vaste collection de
podcasts. Les voix chantées me bouleversent. Je chante énormément. J’ai
travaillé sur des répertoires assez divers : chansons réalistes, jazz, funk,
chant lyrique… En ce moment, je travaille sur des chansons de Joan Baez, sur de
la variétoche, et je commence à lorgner sérieusement du côté du rock. Je ne me
suis jamais remise de la première fois où j’ai entendu Janis Joplin.
Je me souviens tous les matins de mes rêves. Je les note. La nuit
qui a suivi le dimanche où j’ai vu Je m’occupe de vous personnellement, j’ai fait un rêve sublime. J’ai rêvé que
j'étais un dauphin... J'ai éprouvé toutes les sensations de la nage, la
fluidité et la vitesse du déplacement, les balades entre copains dauphins, le
fait de cracher de l'eau par le dessus de la tête... C'était absolument
merveilleux.
En espérant que
ma lettre vous parlera…
Et encore merci
pour le champagne !
Julie Menut
Labels: stage correspondance
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