Landing On Time
Ne
négligeons pas l’aspect physique quand il s’agit d’amour. Tout le monde n’est
pas égal devant la loi sexuelle. Arnaud venait me faire le hug de départ, alors que j’allais franchir à l’anglaise, emmitouflé dans son drap, et je
remarquais une érection pas piquée des hannetons. Une érection très droite,
très belle, l’érection d’un nègre. « Oh, c’est gentil, lui dis-je, en
faisant mine de lui présenter mon cul, je n’ai pas beaucoup de temps. » Je
partais sur le beau temps. Chaque fois, je
pleurais un peu en quittant Berlin. Il
aurait fallu que je trouve moyen de rester plus longtemps. Travailler à
eDarling, moi aussi ? C’était
un centre d’appel qui employait plusieurs nationalités
pour répondre dans les langues aux récriminations naïves des clients de ce site
de rencontre (que, par ailleurs, le service marketing (porte à côté) entubait).
Une cliente l’avait dit d’ailleurs une fois dans ces termes :
« Je me suis fait enculée par eDarling et, en plus, je suis toujours
célibataire ! » C’était payé mille cent euros par mois pour quarante heures
par semaine, mais cette somme permettait de vivre à Berlin, de vivre la
ville-jardin. Arnaud m’avait fait rencontré Falk qui vivait un loft très
luxueux à Prenzlauer Berg et Falk avait été immédiatement adorable, d’une
gentillesse séductrice bouleversante. Il commençait à me connaître, on s’était
croisé à Avignon l’année précédente et il était venu voir mon spectacle au
Rond-Point au mois de juin. Ce qui fait qu’il n’avait fait qu’une
remarque pour marquer sa différence. Comme j’avais prononcé le mot
« sucer », il avait dit, un peu terne, un peu blanc, que
les Allemands ne parlaient jamais de sexe à table. Ni après, d’ailleurs. Qu’ils
n’en parlaient jamais sauf à leur psy. Et qu’il avait été étonné d’entendre
l’équipe française de la production de Stanislas Nordey de My secret garden parler sexe immédiatement répétition terminée. Ça me plaisait bien d’apprendre que les
Allemands ne parlaient pas de sexe : ça m’aurait fait des vacances de
devenir Allemand ! J’apprenais la langue. Ça n’allait pas être facile. De quoi
allions-nous parler ? Le loft luxueux de Falk était en même temps
normal, le luxe est toujours normal, mais normal pour l’Allemagne, je veux
dire. Tout ça bien décrit, déjà, par Botho Strauss. Quand nous nous étions
couchés, moi, dans la chambre d’ami, après être revenus de cette fête dans ce
squat, je ne saurais dire lequel, assez célèbre, dans la partie encore
bohème de Prenzlauer Berg, où nous avions regardé, Falk et moi, Arnaud naviguer
à la perfection dans la marée humaine, party animal, animal de fête, mais nous laissant, nous, Falk et
moi, estomaqués par son audace, son affirmation, comme sur le carreau, ce qui avait donné lieu, sur
le trottoir devant chez Falk, à une tentative de subordination de
l’ « animal » qui pianotait sur son portable le résultat de sa
soirée. Sans résultat. Arnaud n’avait pas voulu lâcher son téléphone, mais qui avait laissé Falk au moins boudeur
(« autiste », dira Arnaud, « Je n’aime pas quand tu fais ton
autiste ») et, finalement, quand j’avais remonté le drap sur moi, des cris
et des appels « Yves-Noël, Yves-Noël ! » qui m’avaient propulsé hors
de mon lit jusqu’à cette chambre immense où je m’étais retrouvé nu comme un ver
parmi les deux amants déjà séparés et qui, curieusement, eux, se cachaient le
sexe, honteux et déjà repentants, chassés du paradis. D’explications confuses,
il s’avérait qu’Arnaud avait plutôt cogné sur Falk. De toute façon, connaissant
mieux Arnaud, j’avais naturellement tendance à placer Falk dans l’innocence.
J’avais fait mon sérieux, mon psy (mais sans parler de sexe) pour arrêter cette
violence. Finalement les choses s’étaient arrangées et, le surlendemain, en
lisant, à Tierpark (le zoo de l’Est), la pièce de Falk qu’il m’avait
conseillée, Trust, je
reconnaissais l’atmosphère de l’aube dans le loft surnaturel et dévasté résumée
par cette phrase : « Fais tes bagages et reste » (pour épargner
mon lecteur). D’ailleurs, une autre pièce ne s’appelait-elle pas : Nothing
hurts ? Dans le taxi, nous
avions joué aux titres et d’ailleurs toute la soirée, Falk me voyant sortir
mon carnet menaçait, comme une chose malpolie, d’aller chercher le sien et,
comme Arnaud se plaignait de la manière qu’avait Falk de lui enserrer le cou
avec le coude au moment de s’endormir, ce qui, lui, l’empêchait de le faire et
menaçait de lui « casser le cou », j’avais proposé : The
Broken Neck ; Falk avait
affiné : The Broken Neck Hotel.
L’Hôtel du Cou Cassé, ça marchait
aussi en français. Mais Falk tenait à la version anglaise, ce que j’approuvais,
en précisant que, pour la France, il faudrait néanmoins la version française,
puisque personne ne parlait rien d’autre. En partant de chez Falk, le
dimanche, je m’étais frotté contre son sexe, à deux reprises, c’était
agréable. Il plaisantait : « C’est ainsi que vous vous dites au
revoir en France ? – Tout à fait ! » et s’était laissé faire
sans indifférence. Mais, ce matin, Arnaud reprenait la donne puisqu’il me
saluait, lui, en érection. « Et si je te le disais,
ça ne changerait rien / Et si je ne te le disais pas, ça ne changerait
rien / Et si je t’aimais, ça ne changerait rien / Et si on restait
ensemble, ça ne changerait rien / Et si je faisais mes bagages, ça ne
changerait rien / Et si je t’appelais, ça ne changerait rien / Et si je ne
t’appelais pas, ça ne changerait rien / Et si je t’embrassais, ça ne changerait
rien / Et si je te voulais vraiment vraiment, ça ne changerait rien / Et si
maintenant maintenant je m’endormais, ça ne changerait rien / (Silence) / Et si
je partais, ça ne changerait rien / Et si j’était juste à la fenêtre, ça ne
changerait rien / Et si seulement je te comprenais pour un instant, ça ne
changerait rien / Fais tes bagages et reste ». Oui, j’aimais Berlin, la
ville-île entourée d’une ceinture de lacs – comme on pouvait voir maintenant de
l’avion –, ville sans frontière, sans bordure, mélange de terreur et de passé,
de l’Est et de l’Ouest, pour les riches et pour les pauvres, où les ouvriers, en
salopettes immaculées, avaient encore un honneur de classe, la fierté de l’être,
où la nature couvraient d’herbe et les bêtes et les hommes, où les distances
étaient immenses car c’était la ville-pays, la ville humaine.
Labels: voyage berlin
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