Saturday, October 06, 2012


Il y a certains animaux et on sent qu’ils ont un pouvoir certain. La grand-mère de cent ans, ce qu’elle adorait, même quand elle ne parlait plus, même quand plus rien, c’était les documentaires animaliers. On avait acheté une parabole pour avoir cette chaîne de documentaires animaliers parce que, ça, on avait remarqué, elle adorait. Sans doute estimait-elle que ça valait encore le coup de vivre comme ça jusqu’à ses cent ans (avec toutes les emmerdes) rien que pour voir ça à la télé, la vie des animaux, les animaux du monde. Les chevaux – réels, cette fois – elle adorait aussi. Les bêtes, toutes les bêtes. Mais elle ne parlait plus. Dans le château, il y a tout un tas de bêtes. Des chauves-souris surtout – dans les chambres, les escaliers. Des chats, des chiens qui sont si « psychologiques » (il ne leur manque que la parole et heureusement, quand même, qu’ils se taisent). Des chevaux. « Les emmerdeurs », dit Babeth. « Ma fille élève des poneys, alors elle me donne les emmerdeurs (ceux qu’il faut séparer). » Des mouches, dans les lampes de chevet. Le bruit du Tarn (du barrage). Pas de moustiques à cause des chauves-souris qui, certes, chient partout, mais voilà leur raison d’être. Il Elles sont protégées comme les abeilles d’Erik (« On ne les tue pas comme ça. ») Des hirondelles qui chient sur les fenêtres de la grande galerie. Enfin, voilà. Des chevreuils traversent le parc. Voilà, voilà… Les animaux, comme les hommes, vivent très vieux, ici. Douce, la chatte, a vingt-cinq ans. Ça n’existe pas un chat de vingt-cinq ans. Et l’étalon (fringant sur les photos) a trente-quatre ans. Douce ne pense qu’à manger toute la journée, c’est une pitié. Elle reste maigre parce que les reins ne fonctionnent plus. Elle vomit partout. Et, pourtant, elle supplie tout le temps qu’on la nourrisse. Si c’est pour vomir... Quelle idiote, cette chatte ! Whisky, le colley, c’est autre chose. On sent une préférence. Babeth a les larmes aux yeux en pensant qu’elle pourrait mourir avant lui. « J’ai dit, dans mon testament, que je donnerai ma voiture à celui qui recueillera Whisky... » – sa voix s’étrangle. Le reste du temps, très volubile, très distrayante, rapide à l’ancienne. « Je suis une alcoolique », me prévient Babeth. Je lui assure que, si elle l’était vraiment, elle ne le dirait pas. On boit un très bon Gaillac. « Enfin, très bon… C’est vrai que ça s’est amélioré parce que, dans le temps, les Bordelais regardait ça de haut ! – Ah, les Bordelais, forcément. » Là où Babeth me reçoit, ce n’est pas au château, c’est l’ancienne école accolée d’une église. Je suis fatigué. Heureux de fatigue. Fatigué de m’étouffer d’inconnaissance. Tout a toujours été le but, pour moi, me noyer dans l’obscur. Et, maintenant, s’étale, autour, la douceur effrayante d’un château vide aux trois cent soixante-cinq fenêtres (j’ai promis à Babeth que je recompterai).  

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