Publié de la gare de Toulouse
C’est difficile d’écrire quand on est persuadé – de façon criante – qu’il n’y a qu’un sujet. Le bonheur. Ou la célébration du bonheur. Alors, comment écrire ? J’ai pris le prétexte de Bébé. « Bébé » est bien, mais, enfin, on ne peut pas écrire un livre intitulé Bébé, publié par Liliane Giraudon dans la maison d’édition de son fils, Marc-Antoine, sponsorisée par Pierre Bergé ! Ça n’aurait pas de sens... Vilain Pierre Bergé ! Après le mal qu’il a fait à Saint Laurent... (Je l’ai lu dans la biographie de Marie-Dominique Lelièvre.) Non, ça n’aurait pas de sens de parler du bonheur de cette manière. Il faut être plus habile. L’habileté, voilà tout.
Celle qui est montée à
Montpellier corrige des copies de psycho intitulées : « Les méthodes
d’étude du Bébé permettant de mettre à jour des compétences précoces ». JE
N’INVENTE RIEN.
Je suis bien dans ce train
inconnu qui traverse une France inconnue. Arles, Nîmes, Montpellier… vers
Toulouse.
« Les attentes du Bébé
quant aux visages humains se développent plus tôt que les attentes du Bébé
quant aux corps humains. » JE N’INVENTE RIEN. La psychologie de Bébé. Je
n’ai qu’à recopier. Vive le plagiat ! Vive le plagiat universitaire !
(J’ai lu un article là-dessus dans les toilettes de chez Erik.)
Benoît traînait à Marseille.
Difficile de parler encore de Benoît… Mais j’ai promis de raconter l’histoire
de sa mère (je ne crois pas l’avoir fait). Elle habite Lons-le-Saunier et il y
a un petit chemin qui la relie à la ville, un petit chemin qu’elle – dit-elle –
ne veut plus emprunter parce qu’elle a peur des pédophiles. « Voilà ce que
Sarkozy a réussi à leur mettre dans la tête ! », dit Benoît. Sa mère a
soixante-seize ans et, quand je racontais cette histoire à la mienne, je me
suis aperçu qu’elle avait aussi soixante-seize ans. Leonard Cohen a
soixante-dix-huit ans.
J’ai rencontré une lectrice.
Une assidue. Véronique Alain. C’est reposant car je n’ai rien à expliquer. Elle
voit très bien qui est Benoît (qu’elle distingue très bien de Bébé), les
présentations sont faites. Elle était à Vienne, me dit-elle, et elle lisait mon
blog. « Si je t’écris ce soir de Vienne, Vienne, c’est qu’il faut que tu
viennes… (…) Que c’est beau, Vienne, avec toi ! » Nous voilà à
Sète.
Véronique Alain a joué
Gertrude dans le procès d’Hamlet (spectacle intitulé : Please continue
(Hamlet)), de Yan Duyvendak. Un
spectacle passionnant, et ennuyeux aussi, mais d’une manière heureuse. C’est
ennuyeux parce que ça frôle le réel – c’est une bonne raison –. Dans un vrai
palais de justice, une vraie salle d’audience (avec une vraie mauvaise
acoustique et les vrais camions-poubelles qui passent dans la rue), de « vrais » juges, avocats, experts... instruisent le procès d’Hamlet (un Hamlet de banlieue
marseillaise) pour l’assassinat de Polonius, le père, comme vous savez, de sa
copine Ophélie, qu’il prétend avoir pris pour un rat. Seuls Hamlet, Gertrude et
Ophélie sont des acteurs. Les autres improvisent leur propre rôle et voilà
pourquoi c’est ennuyeux et passionnant. Le juge, les avocats changent tous les
soirs. Ils suivent le même dossier d’instruction. Les jurés sont appelés parmi
les gens de la salle. Hamlet est acquitté ou condamné – peines variables –
selon les soirs. Une bonne idée !
Ce spectacle m’a
rappelé un autre de mes spectacles fétiches, Palais de justice, de Jean-Pierre Vincent, qui reconstituait de manière
hyperréaliste une journée d’audience du palais de justice de Strasbourg.
J’avais vu plusieurs fois ce spectacle et j’étais allé ensuite, à Lyon, voir
des vraies audiences. Je me promets – aujourd’hui – d’aller le faire de
nouveau. Seul bémol : c’est abyssal.
On me fout la paix – et le
monde devient libre et vide. J’ai laissé Bébé à la maison. Seul compte de
laisser quelqu’un quelque part. Et puis les plantes et les animaux disent un
mot. Bébé m’envoie une photo d’une page de Pierre Guyotat, il lit Coma. Pierre Guyotat parle d’un marchand colporteur
s’installant en Forez, au XVIème siècle. Jusqu’à quand cet attachement à ce
qu’il s’est passé ? Chacun a sa stratégie. Moi, je voyage et on me fout la
paix. Les photos sont très belles.
La disponibilité aux gens. Il
ne se passera rien. Juste acheter un café, un magazine. Mais l’échange
peut-être aussi gratifiant qu’avec Bébé. Cela parce que j’ai confiance en
Bébé.
Routes de platanes aperçues.
Routes de platanes qui longent. Muettes, rapides. Rapides comme les yeux.
Aussitôt apparues, disparues.
« Le Monde », son
papier réel, son bruit. « Looked through the paper / Makes you wanna
cry. » Pas toujours. Non. Jour. Je pense à mes amis. A mon ami si cher, Erik.
J’ai vu sa copine, ce matin. L’Ethiopienne. Narbonne, Carcassonne…
Et puis ce que j’attendais
est arrivé. Dans « Le Monde » trouvé abandonné, une photo de la
nouvelle collection d’Hedi Slimane pour Saint Laurent. C’est somptueux. C’est
décidé, je deviens femme et je m’habille ainsi pour le voyage – dans les bras
de Bébé. Mon homme, mon enfant, mon lapin / chasseur. Sud de la France, nuit
prochaine dans un château. On écrit français, on est heureux. C’est beau !
C’est soutenu par Pierre Bergé. Je vais revoir ma copie.
A-la-gloire-de-Pierre-Bergé ! Avec Bébé dans le rôle-titre. Titre du
livre : Bébé. Heu-reux !
« Les robes
sahariennes en veau velours, les smoking et tailleurs pantalons noirs portés
avec une chemise blanche à cravate foulard noire et les longues robes de
mousseline signalent du pur Saint Laurent. On y retrouve l’esprit de la ligne
Rive gauche, créée en 1966, qui a lancé le prêt-à-porter de luxe. Mais Hedi
Slimane y mêle son propre vocabulaire. Les proportions des vêtements sont
recalibrées ; les blousons de cuir, longues jupes de peau cloutée, les
grappes de bijoux dorés insufflent une énergie rock chère au nouveau
designer. »
« Un dépassement de la
contenance interne » sont les mots de l’expert psychiatre pour expliquer
le comportement d’Hamlet ou son non comportement. Ces mots, ils les prononcent
plusieurs fois. Je les trouve beaux, moi aussi, ces mots.
Labels: voyage
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