© 1980 by Les Editions de Minuit
Rauque la ville, c’est un livre, pour moi, capital, un livre que je compare, moi, pour moi, à La Maman et la Putain, quant à l’impact, quant à l’époque. Et ces époques molles qui passent si vite.. Mais il n’a pas eu le même impact, loin de là ! Mais il aurait pu ou presque pu. Pour moi, il l’a eu. Après, à grande échelle.. Il est désespéré, en tout cas, comme l’est La Maman et la Putain, mais son auteur ne s’est pas suicidé. Il vit toujours, mais il écrit des livres qui n’intéressent maintenant absolument personne (ou presque). Des livres que je ne lis pas non plus. Ecrire tellement écrire. Je n’ai jamais parlé de ça avec lui. Sauf, une fois, je lui ai dit : « Je me demande comment tu as pu écrire ce livre (Rauque la ville).. » Et il m’a répondu : « Je me le demande aussi ! », en riant. Je relis souvent Rauque la ville. Avec un éblouissement toujours neuf. Comme on peut revoir infiniment La Maman et la Putain. C’est par amitié avec Jean Pierre Ceton que je ne mets plus de tiret à son nom, ni de s à temp et à corp au singulier ni, maintenant, je le remarque dans Rauque la ville, trois points, mais deux points, en effet, ça suffit.. quand la pensée ne s’interrompt pas... « de la terre réchauffée et de l’eau légère. Elle a fait une grimace. Je me suis assis au sol, près d’elle. En face d’elle, je l’ai regardée. Elle a dit : « je me croyais solide tu vois, maintenant je ne sais plus très bien.. Depuis des années je me fuis dans tout ce qui se peut.. J’écarte, à mesure du temp, tout ce qui me déplaît, tout ce qu’on voudrais m’imposer malgré tout.. J’ai tout rejeté ce que je m’étais fixé, parfois de façon très minutieuse.. Je vis désormais strictement au jour le jour dans ma pensée.. Souvent, je n’écoute plus personne.. je tiens à laisser ma pensée se penser... » Et plus tard, après un long silence qui ne m’a pas paru gênant : « .. tu vois, ça fait des années que je n’écoute plus ni radio ni voisin ni famille ni télévision forcément.. que je ne lis plus aucun journal ni revue de quoi que ce soit.. en somme que je me tiens belle au loin de toute sorte de nouvelles. » Brusquement elle s’est arrêté, me disant : « on n’a rien à se dire ? » J’ai dit : « non, non.. mais si, tu vois bien. » Elle s’est remise aussitôt à parler : « .. quand je vais dans les rues, je m’efforce de ne pas regarder.. ou de regarder ailleurs.. Parfois je ne mange plus, ou bien, quand je me sens faible, je mange des mixtures que j’élabore moi-même, et qui peut-être n’existent pas.. Mais depuis qq temp, à force de me jouer.. ah oui, tu ne comprends pas ? » Je n’avais rien dit, ne pouvais.. Elle disait : « .. au début.. oui, c’est une longue histoire.. Je jouais, oui je jouais à des jeux.. à ne plus faire.. ou à faire.. mais par désir bien sûr, oh oui, par grand désir.. Et ensuite, maintenant je le sais bien, j’ai joué de moi.. Et ce jeu, finalement, c’était se prendre de l’énergie à soi dans la mesure folle d’un enfermement qui s’est tellement accru que.. que je ne peux plus.. je ne peux plus parler avec personne.. Ni écouter quoi que ce soit de quelqu’un sans que je déteste ce quelqu’un parce » (Page 80.) « Qu’il est d’un autre monde.. », dit-on sur l’autre page. C’est le récit de moi. Le récit de mon désespoir à 18 ans, 17 ans.. Lyon, Villeurbanne.
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