Rêverie
Rêverie... J’ai laissé Clara Chabalier, je l’ai accompagnée, mais je n’avais pas envie de voir le film. C’est toujours étrange de laisser une fille qui vous propose d’aller au ciné. Ça s’est vu tant de fois (au cinéma). Ça ne se fait pas. Ou alors. Pas facilement. En ce moment, elle est à voir Side Effects, de Steven Soderbergh. Il était dit dans « Libé » que je lui ai lu à haute voix entre le café Jaurès (où nous avions rendez-vous) et le cinéma Quai de Seine — quel printemps, d’ailleurs, les oiseaux strient la rue, les vaguelettes, le ciel, les feuilles trop vertes, tout bouge — il était dit : « la mécanique mercantile d’un monde de coquins antipathiques ». Avec Clara, on s’était vu parce que je l’avais admirée dans The Four Seasons Restaurant, de Romeo Castellucci — spectacle qui m’a bouleversé au-delà de toute mesure ; c’est pour moi le symbole de toute beauté : c’est comme si je ne l’avais pas vu, c’est comme si je ne l’avais même pas rêvé, je ne sais pas d’où m’en vient la mémoire — et — en même temps —, je n’arrive pas à croire que je ne vais pas le revoir (la tournée, en tout cas en France, est achevée, me dit Clara). Clara ajoute à mon désarroi, à mon incompréhension de la portée sublime de ce que j’ai vu — la portée sublime intime —, le récit de son travail avec Romeo Castellucci : en fait, elle n’a rien à dire, il n’y a rien à dire. Elle a travaillé à Berlin sur ce spectacle : répétitions : 2 jours. A Paris, elle est venue pour un remplacement (un autre rôle) : répétitions : 4 h seule (avec Romeo Castellucci) et une après-midi avec tout le monde. Ma raison vacille. Comment est-ce possible ? Comment ce que je compare, par ex, à La Callas, pour dire la beauté surnaturelle, ne nécessite pas de travail ? C’est invraisemblable. Du coup, on n’a plus rien à se dire, avec Clara. Clara est très belle. Maquillée, les lèvres. Avec un peu de dentifrice à la commissure (je n’ose le lui faire remarquer parce que je ne l’ai pas fait au début, au commencement, à son arrivée...) Elle est exactement aussi belle que dans ce spectacle où je l’ai vue belle au milieu de cet ensemble de femmes toutes aussi belles sauf qu’elle est la seule blonde. « Etait », je devrais dire, si c’est fini... « Banalité du théâtre, dit Eric Vautrin, opposée à la permanence de la poésie littéraire. » On ne devrait pas dire de Steven Soderbergh, mais réalisé par Steven Soderbergh, de même que Promised Land est réalisé par Gus Van Sant. C’est tout. Ce sont des films de genre. De bouts de ficelle, de bonnes volontés. C’est si vulgaire, le cinéma américain, si, si vulgaire... C’est du divertissement et ça ne dit pas grand chose. Divertissement de quoi ? Ils se divertissent en regardant l’Amérique. Mais ils sont l’Amérique. Ils s’inventent quoi ? Rien.
(Peut-être Clara pour travailler avec Thibault le 8, 9...)
(...)
Au cinéma, le type m'a dit qu'il ne restait qu'une seule place dans la salle. Quand je suis entrée, le film était en train de commencer, je n'ai pas trouvé la dernière place libre. J'avais peur de déranger les gens. Alors je me suis installée sur l'escalier, et j'ai regardé ce film comme je regarde les films de ce genre, en cherchant les erreurs de raccord, en regardant les figurants au fond, parce que, vraiment, il n'y avait rien d'intéressant. On avait déjà tout lu, et même l'idée du film que je m'en faisais d'après Wikipédia était mille fois plus folle que tout ce que Soderbergh aurait pu faire. Edouard Levé a une phrase très belle : « Je préfère qu'on me raconte une exposition plutôt que de la voir de mes propres yeux ». J'y pense souvent. Et j'ai aimé comment tu m'as parlé du spectacle, car aujourd'hui je suis si triste que cette expérience soit finie. J'aime bien le revivre à chaque fois à travers la vision des gens. Et c'est ça aussi qu'un spectacle vit encore : c'est quand on le raconte. C'est d'ailleurs pour ça que je ne pouvais aller voir qu'un film nul : pour regretter encore un peu plus.
T'en fais pas... tu vas le porter encore longtemps sur ton visage, ce spectacle... Content qu'il n'est plus resté qu'une place, j'ai moins de regrets de t'avoir laissée (ou alors tu l'inventes par gentillesse à mon égard). (...)
(Peut-être Clara pour travailler avec Thibault le 8, 9...)
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Au cinéma, le type m'a dit qu'il ne restait qu'une seule place dans la salle. Quand je suis entrée, le film était en train de commencer, je n'ai pas trouvé la dernière place libre. J'avais peur de déranger les gens. Alors je me suis installée sur l'escalier, et j'ai regardé ce film comme je regarde les films de ce genre, en cherchant les erreurs de raccord, en regardant les figurants au fond, parce que, vraiment, il n'y avait rien d'intéressant. On avait déjà tout lu, et même l'idée du film que je m'en faisais d'après Wikipédia était mille fois plus folle que tout ce que Soderbergh aurait pu faire. Edouard Levé a une phrase très belle : « Je préfère qu'on me raconte une exposition plutôt que de la voir de mes propres yeux ». J'y pense souvent. Et j'ai aimé comment tu m'as parlé du spectacle, car aujourd'hui je suis si triste que cette expérience soit finie. J'aime bien le revivre à chaque fois à travers la vision des gens. Et c'est ça aussi qu'un spectacle vit encore : c'est quand on le raconte. C'est d'ailleurs pour ça que je ne pouvais aller voir qu'un film nul : pour regretter encore un peu plus.
T'en fais pas... tu vas le porter encore longtemps sur ton visage, ce spectacle... Content qu'il n'est plus resté qu'une place, j'ai moins de regrets de t'avoir laissée (ou alors tu l'inventes par gentillesse à mon égard). (...)
Labels: paris correspondance
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