Marie-Agnès
Je n’ai pas reconnu tout de suite Marie-Agnès Gillot. Je voyais qui ? j’entendais même (de sa part) prononcer avec désinvolture le mot de « danseuse étoile » et je me demandais qui, quelle sorte de danseuse étoile inconnue de derrière les fagots — ou peut-être très connue, mais il me fallait une aide encore... — et puis le nom a été prononcé par Geneviève : « Marie-Agnès », Mon Dieu, mais c’est bien sûr ! je passe la soirée avec Marie-Agnès Gillot dans le château de Montfrin illuminé. Jean-René était tout guilleret, au sommet de son art, de sa prestance…
Ô mon pays, ô
mon château, ô mon ami…
Citation
choisie, ce soir-là, par Marie-Agnès Gillot
« Contre
le corps conçu comme destin, fatum marquant l’individu de son sceau, indélébile, Freud réinstaure
la majesté d’une énergie psychique, puissante, obscure, à tout jamais
inconnaissable, mais, en tant qu’elle est l’organe du langage, source de la
possibilité illimitée de manifester la liberté de l’homme. »
Une chose très
belle : Marie-Agnès — qui, au cours de la soirée très avancée me demande
mon prénom (pour en parler à notre amie commune Julie Guibert), ajoute :
« Moi, c’est Marie-Agnès » (mais cette fois, je n’avais pas oublié) —
dit — et elle le dit, je ne sais pas, dans ce château incroyable peuplé, habité
d’ombre — l’art de l’éclairage est inouï au château et je le dis à Jean-René qui
me répond : « Ah, ça, c’est moi ! », c’est-à-dire que c’est peuplé
d’une infinité de lampes très rares de très faible puissance (qui fait qu’on ne
peut pas lire, par ex) et que dans cette immensité — imaginez Versailles,
vous serez plus près du vrai — il y a aussi la nuit et le royaume des chats
qui y voient — elle dit soudain que, quand elle n’a pas de miroir, elle
travaille avec son ombre.
Le corps de
grand cheval de Marie-Agnès Gillot (elle, elle dit : « grande
saucisse »).
Marie-Agnès
Gillot qui a réussi tout ce qui peut se réussir sur cette terre, qui est
positivement ce qu’on peut appeler au sommet, le sommet de son art et son art
le sommet des autres, le plus noble, est d’une fragilité que je
reconnais : elle a incroyablement peur de ne pas être aimée, d’être jugée,
même par moi (qu’elle ne connaît pas). A partir du moment où je sais qui elle
est, je passe donc la soirée à lui envoyer des signes d’amitié, de connivence,
d’alliance, de complicité : « Je suis avec toi », « Je
suis tout entier ton allié ». Que ces fragilités sont inouïes !
celles des artistes, celles de tout le monde, au final, de tout le monde qui
ose s’avancer hors de la destruction de soi généralisée (par la
société ?), qui ose s’avancer à faire qqch de soi (cf la citation de
Sartre que Jean-René a affichée, qui est le début des Mots : Geneviève m’a demandé pourquoi
je ne la recopiais pas, elle aussi, mais je lui ai dit que, comme Jean-René venait de dire
d’où elle était extraite, je saurai où la retrouver).
Marie-Agnès dit
qu’elle a un complexe du classique et qu’elle hait le contemporain.
Là, je lui réponds : 1) qu’elle a raison, que la plupart des choses qui sortent
dans le contemporain sont nulles et 2) pas tout, certaines choses sont inouïes
(ce qu’elle reconnaît). D’ailleurs n’a-t-elle pas travaillé avec passion et
amour avec Pina Bausch et William Forsythe ? William Forsythe, me
dit-elle, l’appelle sa « fiancée ».
Je vois
Jean-René, de dos, l’homme excellent qu’il est. Il met de la musique, très
belle, très forte (qui couvre ce qu’on peut se dire avec Geneviève, très près, ou
avec Marie-Agnès). Il passe des extraits, il change souvent (de grands gouffres
de silence soudain de la nuit pure et de l’immensité par la terrasse et par la
nuit). Il répète les paroles en anglais pour nous en faire entendre le sens
quand il croit que ça nous a échappé. Comme : « I wan’t to be haunted
by the ghost ».
Anecdote :
Le petit teckel de Marie-Agnès veut monter sur la table (Jean-René leur a fait
des pâtes aux morilles) et Jean-René veut l’en empêcher, « Les chiens ne montent
pas sur les tables ». « Non, non, dit Marie-Agnès, très vite, c’est un chien
de table, il est éduqué comme ça » et Jean-René — qui s’y connaît en
femme — fait mine instantanément (sans laisser paraître la moindre réticence —
grand art que j’admire —) de s’émerveiller de cette nouveauté, le petit chien
sur la table et qu’on ne mettra pas par terre au risque de froisser sa
maîtresse. A un moment (puisque cette situation incongrue dure, de ce chien debout sur la table et qui semble même en avoir un peu honte), je tente une chose pas méchante du tout, mais
Marie-Agnès, très vite, se défend (c’est le seul moment de la
soirée — très rapide — de ce genre). Je dis qu’il devait y avoir des chiens comme ça à
Versailles sur les tables et Marie-Agnès dit très vite :
« Certainement pas ! A Versailles, ils étaient à terre, mais celle-ci est
sur la table ! » et Jean-René enchaîne très vite en plaisantant
ostensiblement sur Versailles, (ses mélanges de parfums et d’odeurs…) et
surtout en montrant qu’il n'y a pas Scud, que c’était une plaisanterie
inoffensive, que Marie-Agnès peut se détendre, qu’elle est, ce soir, en terrain
totalement protégé, qu’on lui sera gré de tout. Nathalie Sarraute a parlé de
toutes ces choses, de toutes ces sensibilités, ces drames et ces déchirures
d’hyper sensibilité.
Jean-René
raconte qu’il a un oncle qui détestait sa mère et qui vit encore (et donc la
déteste toujours), qui dit : « Ta mère était tellement radine, elle
mettait partout des ampoules de 15 watt... » Et une fois : « Tiens : je t’ai
tout changé… » (« C’était affreux », dit Jean-René). La poésie
de ce château, c’est vrai, est inouïe. « La poésie/nuit », comme
disait Eric Vautrin. Il me montre un lieu incroyable, immense galerie qui sert
de débarras depuis des lustres, on dirait les profondeurs d’un antiquaire, il
me dit : « Voilà un lieu où tu pourrais faire une lecture,
aussi. » Marie-Agnès qui s’y est avancée est sublime dans cet
espace, « C'est un espace-opéra », je le lui dis... Je propose alors de
changer Musset pour Edgar Poe. Jean-René est d’accord. Il propose aussi Peter Schlemihl (« Le mec
qui avait peur de son ombre »)…
Labels: avignon
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