« Comment avez-vous
rencontré Klaus Michael Grüber ?
— Depuis des mois, il
cherchait une comédienne pour jouer Bérénice, à la Comédie-Française, mais je
n'étais pas au courant. Je travaillais ailleurs, j'étais très occupée.
Quelqu'un m'a appelée pour me le faire rencontrer. C'était dans un bar, du côté
de Port-Royal. Nous ne nous sommes pas parlé. Il m'a simplement écoutée et
regardée. Je me souviens de la lumière tamisée. C'était un peu en pointillé.
Plus tard, il a appelé Jean-Pierre Vincent, administrateur général de la
Comédie-Française à l'époque, pour lui faire part de son choix. Je ne savais
pas que cette rencontre serait si importante dans ma vie.
En quoi cette entrevue
fut-elle si décisive ?
— Par le travail qui a suivi.
Les premières semaines de lecture à la table ont été éprouvantes. J'étais très
perturbée car je ne comprenais rien. Et tout à coup, comme par une révélation,
tout s'est éclairé. Plus qu'un metteur en scène, Grüber était un maître de vie.
Il avait une faculté d'écoute, de silence et d'empathie rares. Comme quelqu'un
qui voit à travers vous, qui vous connaît et décèle votre potentiel. Quelqu'un
qui vous voit vous débattre dans votre mensonge et vous oblige à aller à
l'essentiel.
N'était-ce pas difficile à
vivre ?
— Oui, bien sûr. J'avais 38
ans et déjà vingt ans de travail derrière moi. Au début, j'éprouvais des
résistances énormes. Le mental s'agite. L'ego s'agite. Mais dès lors qu'on
accepte, c'est irrésistible et merveilleux. Comme une porte qui s'ouvre. Comme
un bain bienfaisant. Les répétitions ne duraient pas des heures. Dès lors qu'on
avait senti quelque chose de juste, il préférait arrêter pour nous laisser sur
une bonne impression. Le refaire, c'eût été le fabriquer. Mais cette Bérénice a
été très contestée. Les gens partaient en faisant claquer leurs sièges. Cela ne
nous ébranlaient pas, nous les acteurs. Nous étions très soudés. Nous n'avions
pas peur pour nous. Peu à peu, le spectacle a viré au triomphe au point de
devenir culte.
Comment définiriez-vous
l'univers de Grüber ?
— C'était un univers de
magicien et de poète, montrant l'invisible au delà du visible. J'aurais adoré
retravaillé avec lui et lui était très attaché à notre groupe. Plus tard, dans
le travail, je me suis toujours demandée ce qu'il dirait, ce qu'il penserait.
Travailler avec lui est une expérience dans laquelle on ne cesse de puiser.
Comme Giorgio Strehler, dont il a été l'assistant, il recherchait la simplicité
et l'humanité.
Votre fille Marina Hands a
également joué avec lui. En avez-vous parlé ensemble ?
— Marina l'a rencontré lors
d'un travail d'atelier sur Les Géants de la montagne, dans le cadre du Festival
d'Automne à Paris. Elle était bouleversée et tous les élèves l'étaient aussi.
Klaus Michael est un être tellement gentil, tendre. Tellement exigeant, aussi.
Qu'elle aie pu goûter à cela, elle aussi, c'était merveilleux. Moi, j'en ai été
marquée à vie. Après la mort de Vitez et de Strehler, celle de Grüber me laisse
définitivement orpheline. »
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