Friday, December 20, 2013

P our Olivier malade


Olivier Normand
Mon cher, je suis cloué au lit par un genre de grippe (ou bien j'ai mangé hier un truc méchant qui me fait grelotter). Je serai bien allé au cinoche mais vraiment, chaque mouvement est une peine. Et je suis sans doute contagieux horriblement. Je t'embrasse, j'essaie de t'appeler dans le we.

— Oh, bébé... Chaque mot de toi est une lettre de Proust... (J'entends le son de ton grelot..)

— Le double tintement timide, ovale et doré de ma clochette de lépreux. ;-)

— Lol. Je voudrais être st Julien (celui des 3 contes de Flaubert...)



« Quand ils furent arrivés dans la cahute, Julien ferma la porte ; et il le vit siégeant sur l'escabeau. L'espèce de linceul qui le recouvrait était tombé jusqu'à ses hanches ; et ses épaules, sa poitrine, ses bras maigres disparaissaient sous des plaques de pustules écailleuses. Des rides énormes labouraient son front. Tel qu'un squelette, il avait un trou à la place du nez ; et ses lèvres bleuâtres dégageaient une haleine épaisse comme un brouillard, et nauséabonde.
— J'ai faim ! dit-il.
Julien lui donna ce qu'il possédait, un vieux quartier de lard et les croûtes d'un pain noir.
Quand il les eut dévorés, la table, l'écuelle et le manche du couteau portaient les mêmes taches que l'on voyait sur son corps.
Ensuite, il dit :
— J'ai soif !
Julien alla chercher sa cruche; et, comme il la prenait, il en sortit un arôme qui dilata son coeur et ses narines. C'était du vin; quelle trouvaille ! mais le Lépreux avança le bras, et d'un trait vida toute la cruche.
Puis il dit:
— J'ai froid !
Julien, avec sa chandelle, enflamma un paquet de fougères, au milieu de la cabane.
Le Lépreux vint s'y chauffer ; et, accroupi sur les talons, il tremblait de tous ses membres, s'affaiblissait ; ses yeux ne brillaient plus, ses ulcères coulaient, et d'une voix presque éteinte, il murmura:
— Ton lit !
Julien l'aida doucement à s'y traîner, et même étendit sur lui, pour le couvrir, la toile de son bateau.
Le Lépreux gémissait. Les coins de sa bouche découvraient ses dents, un râle accéléré lui secouait la poitrine, et son ventre, à chacune de ses aspirations, se creusait jusqu'aux vertèbres.
Puis il ferma les paupières.
— C'est comme de la glace dans mes os ! Viens près de moi !
Et Julien, écartant la toile, se coucha sur les feuilles mortes, près de lui, côte à côte.
Le Lépreux tourna la tête.
— Déshabille-toi, pour que j'aie la chaleur de ton corps !
Julien ôta ses vêtements ; puis, nu comme au jour de sa naissance, se replaça dans le lit ; et il sentait contre sa cuisse la peau du Lépreux, plus froide qu'un serpent et rude comme une lime.
Il tâchait de l'encourager ; et l'autre répondait, en haletant :
— Ah ! je vais mourir !... Rapproche-toi, réchauffe-moi. Pas avec les mains ! Non ! toute ta personne.
Julien s'étala dessus complètement, bouche contre bouche, poitrine sur poitrine.
Alors le Lépreux l'étreignit ; et ses yeux tout à coup prirent une clarté d'étoiles ; ses cheveux s'allongèrent comme les rais du soleil ; le souffle de ses narines avait la douceur des roses ; un nuage d'encens s'éleva du foyer, les flots chantaient. Cependant une abondance de délices, une joie surhumaine descendait comme une inondation dans l'âme de Julien pâmé ; et celui dont les bras le serraient toujours grandissait, grandissait, touchant de sa tête et de ses pieds les deux murs de la cabane. Le toit s'envola, le firmament se déployait ; — et Julien monta vers les espaces bleus, face à face avec Notre Seigneur Jésus, qui l'emportait dans le ciel. »

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