P our Olivier malade
Olivier Normand
Mon cher, je suis cloué au
lit par un genre de grippe (ou bien j'ai mangé hier un truc méchant qui me fait
grelotter). Je serai bien allé au cinoche mais vraiment, chaque mouvement est
une peine. Et je suis sans doute contagieux horriblement. Je t'embrasse,
j'essaie de t'appeler dans le we.
— Oh, bébé... Chaque mot de
toi est une lettre de Proust... (J'entends le son de ton grelot..)
— Le double tintement
timide, ovale et doré de ma clochette de lépreux. ;-)
— Lol. Je voudrais être st
Julien (celui des 3 contes de
Flaubert...)
« Quand ils furent
arrivés dans la cahute, Julien ferma la porte ; et il le vit siégeant sur
l'escabeau. L'espèce de linceul qui le recouvrait était tombé jusqu'à ses
hanches ; et ses épaules, sa poitrine, ses bras maigres disparaissaient sous des
plaques de pustules écailleuses. Des rides énormes labouraient son front. Tel
qu'un squelette, il avait un trou à la place du nez ; et ses lèvres bleuâtres
dégageaient une haleine épaisse comme un brouillard, et nauséabonde.
— J'ai faim ! dit-il.
Julien lui donna ce qu'il
possédait, un vieux quartier de lard et les croûtes d'un pain noir.
Quand il les eut dévorés, la
table, l'écuelle et le manche du couteau portaient les mêmes taches que l'on
voyait sur son corps.
Ensuite, il dit :
— J'ai soif !
Julien alla chercher sa
cruche; et, comme il la prenait, il en sortit un arôme qui dilata son coeur et
ses narines. C'était du vin; quelle trouvaille ! mais le Lépreux avança le bras,
et d'un trait vida toute la cruche.
Puis il dit:
— J'ai froid !
Julien, avec sa chandelle, enflamma
un paquet de fougères, au milieu de la cabane.
Le Lépreux vint s'y chauffer ;
et, accroupi sur les talons, il tremblait de tous ses membres, s'affaiblissait ;
ses yeux ne brillaient plus, ses ulcères coulaient, et d'une voix presque
éteinte, il murmura:
— Ton lit !
Julien l'aida doucement à s'y
traîner, et même étendit sur lui, pour le couvrir, la toile de son bateau.
Le Lépreux gémissait. Les
coins de sa bouche découvraient ses dents, un râle accéléré lui secouait la
poitrine, et son ventre, à chacune de ses aspirations, se creusait jusqu'aux
vertèbres.
Puis il ferma les paupières.
— C'est comme de la glace
dans mes os ! Viens près de moi !
Et Julien, écartant la toile,
se coucha sur les feuilles mortes, près de lui, côte à côte.
Le Lépreux tourna la tête.
— Déshabille-toi, pour que
j'aie la chaleur de ton corps !
Julien ôta ses vêtements ;
puis, nu comme au jour de sa naissance, se replaça dans le lit ; et il sentait
contre sa cuisse la peau du Lépreux, plus froide qu'un serpent et rude comme
une lime.
Il tâchait de l'encourager ;
et l'autre répondait, en haletant :
— Ah ! je vais mourir !...
Rapproche-toi, réchauffe-moi. Pas avec les mains ! Non ! toute ta personne.
Julien s'étala dessus
complètement, bouche contre bouche, poitrine sur poitrine.
Alors le Lépreux l'étreignit ;
et ses yeux tout à coup prirent une clarté d'étoiles ; ses cheveux s'allongèrent
comme les rais du soleil ; le souffle de ses narines avait la douceur des
roses ; un nuage d'encens s'éleva du foyer, les flots chantaient. Cependant une abondance de
délices, une joie surhumaine descendait comme une inondation dans l'âme de
Julien pâmé ; et celui dont les bras le serraient toujours grandissait,
grandissait, touchant de sa tête et de ses pieds les deux murs de la cabane. Le
toit s'envola, le firmament se déployait ; — et Julien monta vers les espaces
bleus, face à face avec Notre Seigneur Jésus, qui l'emportait dans le ciel. »
Labels: correspondance
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