¿Q ué es la fe real?
Sébastien, J’écoutais la
radio tout à l’heure après que nous nous étions rencontrés et avions évoqué
Pontempeyrat et les difficultés des directives Afdas et j’entendais ça
(ci-dessous).
Je me répétais — ce que j’ai
déjà beaucoup dit — que ma recherche est un travail sur l’incarnation dans le sens où Nicolas Le Riche (danseur étoile)
dit à Laure Adler (journaliste) : « Comment se fait ce rapport à
l’espace qui introduit cette dimension qui est presque spirituelle ? —
J’ai toujours pensé que le plus important pour un danseur était probablement
l’incarnation. — C’est pas la technique ? — Elle est importante, c’est
l’écriture, c’est le mot, c’est la forme, c’est ce qui est donné. En revanche,
l’incarnation — l’impulsion — est probablement ce qu’il y a de plus mystérieux,
de plus fragile, de plus sensible et ce champ ouvre énormément de possibles. Et
il est relié aussi à l’une des forces de cet art que j’aime beaucoup : il
est relié au vivant, à la personnalité qui le porte. Je pense sincèrement que
c’est l’une des forces de la danse aujourd’hui, la danse est portée par des
êtres vivants qui se la donnent,
qui se la communiquent de génération en génération, qui se la transmettent.
C’est un cadeau et un trésor extraordinaire puisque à chaque fois tout ça est
enrichi de la personne qui vous l’a transmis. » Il faut défendre un
enseignement intuitif, je pense que je ne suis quand même pas le premier !
(Voir peut-être du côté de Jacques Rancière que je connais mal.) Et, bien sûr,
j’ai compris que nous étions bien d’accord et qu’il fallait trouver la
meilleure stratégie pour cette guerre que l’on nous fait. Je te redonne aussi
la très belle citation de Franz Kafka sur laquelle était basé le dernier stage
« Casser une noix » : « Casser une noix n’a vraiment rien d’un
art, aussi personne n’osera rameuter un public pour casser des noix sous ses
yeux afin de le distraire. Mais si quelqu’un le fait néanmoins, et qu’il
parvienne à ses fins, alors c’est qu’il ne s’agit pas simplement de casser des
noix. Ou bien il s’agit en effet de cela, mais nous nous apercevons que nous
n’avions pas su voir qu’il s’agissait d’un art, à force de le posséder trop
bien, et qu’il fallait que ce nouveau casseur de noix survienne pour nous en
révéler la vraie nature — l’effet produit étant peut-être même alors plus grand
si l’artiste casse un peu moins bien les noix que la majorité d’entre nous. »
Le stage doit s’inventer sur le moment et à partir des personnalités rencontrées — exactement comme en haute couture (disait Coco
Chanel) : « Je fais mes robes sur les mannequins. » Il s’agit de
croiser ou de ressentir, de faire ressentir aux interprètes qui le veulent que
le « vivant » est la matière même qu’ils peuvent travailler, qu’ils doivent travailler toujours et exclusivement, même si on ne
leur dit pas. Le vivant : l’incarnation dans l’espace. On ne leur dit pas,
parce que, ce qui se dit, c’est, à la place, les discours faux et mortifères de
ceux qui l’attaquent, justement, le vivant, et aussi parce que le vivant (de la
création), comme le dit Nicolas Le Riche, mais comme l’a aussi très bien montré
Nathalie Sarraute pendant tout un livre intitulé Entre la vie et la mort, il est extrêmement fragile et volatile. Ou bien
encore, comme l’a aussi parfaitement clairement énoncé Virginia Woolf :
« Rien ne devrait avoir un nom, de peur que ce nom même le
transforme. » C’est une phrase massive que cette phrase. Il est alors hors
de question qu’une personne de bureau ou qu’un système de bureau dise le
contraire de ceux qui permettent la grandeur de ce système : les artistes
guidant les autres êtres vivants — car tous disent la même chose, les plus
immenses (comme l’a montré Charles Baudelaire dans un poème que j'interprétais à la
Ménagerie de verre intitulé Les Phares). Mais il est vrai que la dimension administrative des choses est déjà
nommée par Hamlet comme une raison de suicide : « the insolence of
office ». Oui, ces gens sont des insolents qui traînent l’humanité
vers le bas et la misère. Pas tous. Le mot « administrer » vient du
latin « prêter son aide », « servir » (en contexte
religieux). Il faut (souvent) revenir à la vérité étymologique pour respirer et
reprendre confiance… « Jouer Dieu » ? C’est ce que je te
souhaite, cher Sébastien, toi à qui j’envie tant la respiration des voyages
qui me manquent,
YN
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