E n pensant à Sofie
« De là dans la poésie
une sorte de monde à part. C’est le monde qui n’est pas et qui est. Niez donc
la réalité de Caliban. Contestez donc l’existence du Petit Poucet. Tâchez donc,
à moins que vous ne soyez Boileau en personne, le vrai Boileau, Nicolas, fils
de Gilles, tâchez donc de ne pas vous intéresser à l’Homme sans Ombre. Dites à Titania : Tu n’es pas ! Si vous lui donnez
ce soufflet, elle vous le rendra. Car c’est vous, bourgeois, qui n’êtes pas.
Tout songeur a en lui ce monde imaginaire. Cette cime du rêve est sous le crâne
de tout poëte comme la montagne sous le ciel. C’est un vague royaume plein du
mouvement inexprimable de la chimère. Là on vit de la vie étrange de la nuée.
Il y a dans tout de l’errant et du flottant. La forme dénouée ondule mêlée à
l’idée. L’âme est presque chair, le corps est presque esprit. On pousse la
réalité jusqu’à dire, le cas échéant, le mot de Cambronne, et l’on s’y appelle
crûment Bottom. Un fantôme crie à l’autre : « Tais-toi, fils de putain ! » On
échange les répliques d’Antonio et du Bosseman dans la Tempête. On est
impalpable au point de fondre comme Ariel dans le parfum d’une fleur. C’est
l’impossible qui se dresse et qui dit : présent. L’être commencé homme s’achève
abstraction. Tout à l’heure il avait du sang dans les veines ; maintenant il a
de la lumière, maintenant il a de la nuit, maintenant il se dissipe.
Saisissez-le, essayez, il a rejoint le nuage. Du réel rongé et disparaissant
sort un fantôme comme du tison une fumée.
Tel est ce monde, autant
lunaire que terrestre, éclairé d’un crépuscule.
Quant à la quantité de
comédie qui peut se mêler au rêve, qui ne l’a éprouvé ? on rit endormi. »
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