Monday, January 20, 2014

L 'Animal que donc je suis


Moi aussi je suis très heureuse de cette rencontre furtive… mais votre « lecture » a laissé des traces , c 'était superbe et cela m'inspire…
Bon, juste ce petit mail pour vous donner un titre de livre  qui peut vous plaire… ou non… d'ailleurs : L'Animal que donc je suis, de Jacques Derrida.
Merci du lien sur la conférence « La féminité ». Oui, c'est très vrai tout cela… personnellement, je me considère mi-homme, mi-femme, mi-animal !
Et aussi vous dire que j'ai eu du plaisir a vous imaginer en Corse en train de lire ce texte ! (Oui, le blog...) J'adore la Corse et elle me manque tant, je vais y travailler (lire-écrire) une partie de l'été chaque année.
Encore merci !
A une prochaine !
Isabelle Luccioni






« Chaque fois que « on » dit « L'Animal », chaque fois que le philosophe, ou n'importe qui, dit au singulier et sans plus « L'Animal », en prétendant désigner ainsi tout vivant qui ne serait pas l'homme [...], eh bien, chaque fois, le sujet de cette phrase, ce « on », ce « je » dit une bêtise. Il avoue sans avouer, il déclare, comme un mal se déclare à travers un symptôme, il donne à diagnostiquer un « je dis une bêtise ». Et ce « je dis une bêtise » devrait confirmer non seulement l'animalité qu'il dénie mais sa participation engagée, continuée, organisée à une véritable guerre des espèces. »

« « Can they suffer ? », la réponse ne fait aucun doute. Elle n'a d'ailleurs jamais laissé aucun doute ; c'est pourquoi l'expérience que nous en avons n'est pas même indubitable : elle précède l'indubitable, elle est plus vieille que lui. Point de doute, non plus, pour la possibilité, alors, en nous, d'un élan de compassion, même s'il est ensuite méconnu, refoulé ou dénié, tenu en respect. Devant l'indéniable de cette réponse, (oui, ils souffrent, comme nous qui souffrons pour eux et avec eux), devant cette réponse qui précède toute autre question, la problématique change de sol et socle. [...] Les 2 siècles auxquels je me réfère un peu grossièrement pour situer notre présent à cet égard, ce sont les deux siècles d'une lutte inégale, d'une guerre en cours et dont l'inégalité pourrait un jour s'inverser, entre, d'une part, ceux qui violent non seulement la vie animale mais jusqu'à ce sentiment de compassion et, d'autre part, ceux qui en appellent au témoignage irrécusable de cette pitié. »

« Pour un système idéaliste, les animaux jouent virtuellement le même rôle que les Juifs pour un système fasciste, dit-il [Théodor W. Adorno]. Les animaux seraient les Juifs des idéalistes qui ne seraient ainsi que des fascistes virtuels. Et ce fascisme commence quand on insulte un animal, voire l'animal dans l'homme. L'idéalisme authentique consiste à insulter l'animal dans l'homme ou à traiter un homme d'animal. »

« De quelque façon qu'on l'interprète, quelque conséquence pratique, technique, scientifique, juridique, éthique, ou politique qu'on en tire, personne aujourd'hui ne peut nier cet événement, à savoir les proportions sans précédent de cet assujettissement de l'animal. [...] Personne ne peut plus nier sérieusement et longtemps que les hommes font tout ce qu'ils peuvent pour dissimuler ou pour se dissimuler cette cruauté, pour organiser à l'échelle mondiale l'oubli ou la méconnaissance de cette violence que certains pourraient comparer aux pires génocides (il y a aussi des génocides d'animaux : le nombre des espèces en voie de disparition du fait de l'homme est à couper le souffle). De la figure du génocide il ne faudrait ni abuser ni s'acquitter trop vite. Car elle se complique ici : l'anéantissement des espèces, certes, serait à l'œuvre, mais il passerait par l'organisation et l'exploitation d'une survie artificielle, infernale, virtuellement interminable, dans des conditions que des hommes du passé auraient jugées monstrueuses, hors de toutes les normes supposées de la vie propre aux animaux ainsi exterminés dans leur survivance ou dans leur surpeuplement même. Comme si, par exemple, au lieu de jeter un peuple dans des fours crématoires et dans des chambres à gaz, des médecins ou des généticiens (par exemple nazis) avaient décidé d'organiser par insémination artificielle la surproduction et la surgénération de Juifs, de Tziganes et d'homosexuels qui, toujours plus nombreux et plus nourris, aurait été destinés, en nombre toujours croissant, au même enfer, celui de l'expérimentation génétique imposée, de l'extermination par le gaz et par le feu. Dans les mêmes abattoirs. [...] Si elles sont « pathétiques », ces images, c'est aussi qu'elles ouvrent pathétiquement l'immense question du pathos et du pathologique, justement, de la souffrance, de la pitié et de la compassion. Car ce qui arrive, depuis deux siècles, c'est une nouvelle épreuve de cette compassion. »

« Il ne s'agit pas seulement de demander si on a le droit de refuser tel ou tel pouvoir à l'animal (parole, raison, expérience de la mort, deuil, culture, institution, technique, vêtement, mensonge, feinte de la feinte, effacement de la trace, don, rire, pleur, respect, etc. – la liste est nécessairement indéfinie, et la plus puissante tradition philosophique dans laquelle nous vivons a refusé tout cela à l'« animal »), il s'agit aussi de se demander si ce qui s'appelle l'homme a le droit d'attribuer en toute rigueur à l'homme, de s'attribuer, donc, ce qu'il refuse à l'animal, et s'il en a jamais le concept pur, rigoureux, indivisible, en tant que tel. »

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