Friday, April 04, 2014

R éservez, dit-elle

« Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste. »  C’est par ces mots qu’Yves-Noël Genod nous fournit l’antidote, le soir de la première de 1er Avril aux Bouffes du Nord (jusqu’au 12 avril), à son exposé sur l’insignifiance de l’existence rapportée à l’incommensurable éternité, sur le mode qu’il affectionne tant de la digression appliquée aux penseurs, Cioran en l’occurrence. Pour finir par danser, toutes lumières allumées, insouciant et splendide, sur Emmanuelle de François Valéry.
Avant et après son intervention, 1er Avril a la beauté et l’étrangeté des rêves, magnifiant et faisant résonner le théâtre des Bouffes du Nord comme rarement on l’a vu dans une succession de tableaux peuplés d’êtres à la voix d’ange — la soprano Jeanne Monteilhet et le contre-ténor Bertrand Dazin —, de performers, danseurs ou musiciens qui s’appliquent à habiter l’instant, s’en remettant, purement et simplement, à ce qu’évoquent leurs silhouettes, à ce qu’elles irradient de présence troublante. Se croiseront ainsi, sous les lumières étourdissantes de volupté et de sombres éclipses orchestrées par Philippe Gladieux, ces « guests, apparitions, fantômes et séraphins » qui ont pour nom « la femme en robe de couleur chair, l’acteur de casting, le maître des anges rebelles, l’hoplite ou la femme camping ».
Ce « son-et-lumière », ainsi qu’il qualifie ce 1er Avril, aura débuté par une dédicace d’Yves-Noël Genod à tous ceux qui se sont abstenus de voter aux dernières élections  — « Un ouvrier sur deux, un jeune sur quatre et tous les étrangers qui n’en ont pas le droit, tous ceux qui ne viennent jamais au théâtre. » Un geste qui se fait l’écho de sa conception du théâtre : « Pour moi, je le dirais d’une manière presque provocante, c’est l’espace où — presque — la démocratie se tait… Vous savez, les défauts… (je ne reviens pas là-dessus…) de la démocratie… Une autre chose qui se tait au théâtre, se calme, s’apaise souvent — je ne sais par quel miracle —, c’est tout entière la Société du spectacle. Dans mon théâtre tout au moins — mais beaucoup de mes collègues se retrouvent dans ce que je dis — nous évidons le ‘spectacle’ que la société produit à flux continu. Nous déconstruisons, nous ‘disparaissons’ le Spectacle permanent pénible et indolore de la société. »

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