T hérèse, Pascale
Yves-Noël Genod, 1er
Avril aux Bouffes du Nord :
préparation à la vie nouvelle.
Ces phrases de Thérèse
d'Avila tombées par hasard sous mes yeux donnent une idée, je crois, de ce que
j'ai vu et entendu dans cette salle haute, grise et crayeuse, ors anciens et
soies déchirées des murs, embrumée et comme recouverte de feutre : « Ce
qui nous importe, ce qui importe à l'âme, qu'elle pratique ou non la prière,
c'est qu'on ne la néglige ni ne l'opprime. Il faut la laisser aller libre dans
ses multiples demeures, de haut en bas et sur les côtés, puisque Dieu lui a
conféré tant de dignité ; elle ne doit pas rester longtemps confinée dans une
seule pièce. Oh, mes filles, ni même dans la connaissance de soi ! A l'entour
de cette pièce, la première demeure, celle de la connaissance de soi, il y en a
beaucoup d'autres, et au-dessus aussi. Parce qu'il y a lieu, ici, dans notre
château aux multiples demeures, de considérer les choses de l'âme dans leur
plénitude, dans leur étendue et leur grandeur : il ne faut rien lui chicaner à
l'âme, parce que sa capacité surpasse de loin ce que nous pouvons imaginer.
C'est de toutes parts qu'elle reçoit le soleil qu'il y a dans ce palais. »
Pousser les murs, c’est ce
qu’il fait, Yves-Noël, avec ses acteurs, ses amis, s'envoler pour suivre le
chant de cette voix, laisser l'espace s'ouvrir sous les coups de boutoir de ce
rire, se souvenir de la tempête qui gronde dehors, nous menace et nous
crucifie, mais pas trop longtemps, danser avec ce couple qui danse, mais pas
trop longtemps, s'égarer, avoir enfin le loisir de s'égarer, de se noyer dans
ce verre d'eau noyé dans l'eau : la gaieté légère d’une tenue de fête, la
griserie de la rumeur dans la pièce envahie maintenant par tous les acteurs
bavardants, murmurants, ils sont si beaux, ils se sont faits beaux, ils
paradent sur la crête de leur vie, il y en a un qui veut tout tout de suite, un
rien et c’est la chute, elle est là aussi la chute, l’ange déchu nu dans sa
parka sale comme l’homme fou qui hante le faubourg Saint-Denis un peu plus bas
dans la ville, sauf que lui sur la scène il chante, il est sauvé, parce que ça
ne fait rien, la peur de la chute, ça ne nous fait plus rien, ils tiennent le
coup quand même, là, devant nous, ça ne tient qu’à un fil et nous tenons avec
eux le fil fragile, le seul qui nous maintienne à vie, le seul qui fasse que ça
vaut le coup l’existence, et qu’on n’a plus peur, comme une main tendue, comme
un sourire qui durerait, on se serait retrouvés enfin, on serait là tout le
temps, disponibles, vivants, on n’aurait plus peur, on aurait les mains pleines
et tout à dépenser, on donnerait tout tout de suite, les sourires, les corps :
glorieux, on serait là enfin, et ça durerait, plus qu’une nuit de fête, ça
durerait toujours. Sur la scène des Bouffes du Nord, ça ne dure que deux
heures, mais c’est comme une préparation à la vie qu’on voudrait, à la vie
nouvelle dont on rêve. C’est dans la tête d’Yves-Noël Genod et c’est à nous
aussi de continuer à vouloir, dehors, sur le trottoir où on se retrouve après,
le trottoir où c’est fini de rêver et où on risque de tout perdre. A moins que
le risque, le vrai, ce soit de le suivre, Yves-Noël Genod, d’y revenir encore,
aux Bouffes du Nord, revenir voir encore son spectacle : c’est jusqu’au 12
avril, il reste quelques jours… pour se plonger dans la vie nouvelle.
Mon Dieu, quand je lis des
choses comme ça, je me dis : pourvu (— comment ? —) qu'on y arrive encore pour
5 représentations ! Les choses les plus belles qu'on ait écrites sur mon
travail (comme aussi cet article de Jean-Pierre Thibaudat pour Chic by
Accident qui était sorti la veille de
la première ! — il était venu à une avant-première) me font froid dans
le dos : peur de ne pas être à la
hauteur. Humanité si fragile, si fragile à rassembler… « Une préparation à
la vie », mais ça tire les larmes de lire des choses comme ça, Pascale !
fais gaffe ! « On aurait les mains pleines et tout à
dépenser »... Et cette phrase de Thérèse : « qu'elle pratique ou non
la prière », c'est bouleversant… Voilà ce que nous allons faire :
pratiquer — ou non — la prière… Merci infiniment de t’être balader dans ce
palais de soleil — ou pas — de soleil, Pascale ! Nous faisons un raccord tout à
l’heure et je peux te dire que cette phrase de Thérèse, elle va nous
servir ! Merci aussi pour ça !
Labels: bouffes, correspondance
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