T erre couverte d’oiseaux
Ds la vie, il suffit de
faire un pas de côté, j’avais subi quelques jours un peu tendus, le souci, la
société, le souci de moi-même, que faire avec cela : moi-même et que faire
avec la société (existe-t-elle ?), mais, ds la vie, il suffit de faire
un pas de côté, j’étais arrivé ds ma famille, il y avait les enfants, ils
étaient venus me chercher à la gare, avec mon père, j’étais allé me baigner, un
plan d’eau à la lisière de la ville, les enfants que j’avais emmenées étaient
au tourniquet, l’eau, les ciels, ciels trop grands, trop vastes, l’été trop
rapide, trop plein, trop vert, je n’avais pas vu arriver le printemps, je
n’avais pas vu arriver l’été :
brutalité des saisons, le lilas, les iris (partout), les marronniers (en
fleurs, comme dans les livres d’enfants) — et puis m’était revenue la phrase
(la phrase qui sauve) : « Désire ce que tu as ». Si la phrase
revient, c’est sauvé. Et puis je m’étais endormi tôt (ds la chambre d’enfant,
mais qui n’était rien de la chambre d’enfant, j’étais juste crevé). Et je
n’avais pas mis de bouchons auriculaires — à quoi bon, c’était le silence et
j’étais juste crevé. Et j’avais été réveillé à l’aurore par un étourdissant
concert, malgré le double vitrage : les oiseaux, les oiseaux. J’avais eu
du mal à me lever, mais finalement j’avais ouvert la fenêtre : ça arrive
si peu, réveille-toi, tu te réendormiras après. Milliers d’oiseaux en concert,
le lotissement où les arbres avaient poussé, les cerisiers, et le lotissement
donnait ensuite sur la forêt. Milliers d’oiseaux heureux, maîtres du monde.
Olivier Messiaen. Cette joie fabuleuse — compréhensible — des oiseaux qui
saluent — comme pour la première fois ? — l’arrivée de la lumière solaire,
le retour du monde. J’avais enregistré à l’iPhone, animé d’une immense
nostalgie de maintenant. Ce monde
qui allait si mal, c’était un peu faux, alors ? Et penser constamment à ce
monde qui allait si mal ne nous empêchait-t-il pas de penser à ce monde qui
allait si bien ? Se vautrer dans le malheur, cette facilité. Immense
nostalgie de ma capacité à aimer. Immense nostalgie aussi de ne plus
travailler tous les jours dans le luxe de la fréquentation de
Benoît Pelé — qui rend les spectacles possibles à notre époque où ils sont
impossibles — car le son enregistré, Dieu soit loué, est réaliste —, ds le luxe de la fréquentation des musiciens, Bertrand Dazin, Jeanne Monteilhet,
Mario Forte et Louis Laurain — pourquoi faudrait-il fréquenter des comédiens ? Les
comédiens si peureux, si peureux, il faut tant d’énergie, déplacer des
montagnes pour leur apprendre (à moi y compris) ce qui ne s'apprend pas, juste l’insouciance nécessaire pour jouer Tchekhov, par ex. Mais les
musiciens sont sur la bonne pente (dirais-je, oui). La pente de la montagne des oiseaux et de la
plaine (du 27 avril). Tout le monde partait ds la maison, tout le monde se
préparait, mon frère et les enfants allaient en Ardèche, mes parents en Bretagne — petit couple à la gare —,
moi, j’allais prendre leur voiture disponible et, solitaire, me balader au
hasard car...
« La Poésie de la
terre ne meurt jamais ».
« The Poetry of earth
is never dead:
When all the birds are
faint with the hot sun,
And hide in cooling trees,
a voice will run
From hedge to hedge about
the new-mown mead;
That is the Grasshopper’s—he
takes the lead
In summer luxury,—he has never done
With his delights; for when tired out with fun
He rests at ease beneath
some pleasant weed.
The poetry of earth is
ceasing never:
On a lone winter evening,
when the frost
Has wrought a silence, from
the stove there shrills
The Cricket’s song, in
warmth increasing ever,
And seems to one in
drowsiness half lost,
The Grasshopper’s among
some grassy hills. »
« Disparaître loin,
m’évanouir, me dissoudre et oublier
Ce que toi, ami des
feuilles, tu n’as jamais connu,
Le souci, la fièvre, le
tourment d’être
Parmi les humains qui
s’écoutent gémir »
« Fade far away,
dissolve, and quite forget
What thou among the leaves
hast never known,
The weariness, the fever,
and the fret
Here, where men sit and
hear each other groan »
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