N adie pierde (repites vanamente)
J’avais rencontré John à
Madrid ; depuis quelques mois, il y travaillait avec un chorégraphe
israélien qui y était venu, lui, pour se marier avec son copain.
En effet, c’était très libre, Madrid, on voyait souvent des hommes ou des
femmes s’embrasser en pleine rue (ou dans les parcs) comme des hétéros.
D’ailleurs (une chose qui me vient en écrivant), ce Madrid-là, je n’y avais vu que très peu d’églises. C’est curieux, j’avais l’idée d’une Espagne très
catholique et, en effet, ds d’autres villes, mais, à Madrid, non, je ne l'avais pas senti. J’avais eu la sensation d’une ville proprement inédite, utopique
presque — d’où était cette ville ? d’où venait-elle ? Du Prado,
assurément, où j'étais retourné tous les jours. Invraisemblable beauté, mais
invraisemblable beauté réelle. Ce
qu’avaient peint les peintres, les quelques personnes qu’avaient peintes les
peintres, en me retournant, en sortant du Prado ou encore dans le hall du
Prado, j'avais vu que l’humanité entière, chaque personne était ds cette beauté
extrême et cela m'avait tourné la tête. Réellement, cela m'avait tourné la tête. On était si
nombreux, si nombreux et tous des chefs-d’œuvre ! Moi-même (m'étais-je dit),
avec tous mes complexes, je devais être aussi extraordinaire que les autres —
qui étais-je ? comment étais-je ? Non, j’étais celui qui regardait,
je n’étais rien — et tous les autres étaient des beautés invraisemblables,
étaient au centre de mon regard. Cela me tournait la tête…
John avait alors essayé de rabattre
des filles pour rentabiliser l’appart' porno que j’avais à ma disposition (pour une
nuit). John était extrêmement beau, bâti
comme un surfeur. Il avait une sorte de chiffon débardeur sur le corps, mais il
était extrêmement beau (mes lecteurs savent que j’aime perdre mon temps avec
des garçons très beaux). On marchait dans la foule, on marchait, de temps en
temps dans un dehors-dedans de plain-pied et John buvait du vin (moi, de l’eau
pétillante). Et on marchait, on regardait spécialement les
filles. Ce qui avait été fatalement moins impressionnant, sur le moment, cette vulgarité du
regard, cette orientation du regard à but sexuel que cette manière que j'avais eue, au sortir
du Prado, dont je parlais tout à l’heure, ce regard « artiste ». Nous
étions moins artistes avec John, me semblait-il ; en tout cas, je ne l'étais plus, moi.
Mais, que voulez-vous, il faut bien, de temps en temps, que je mime la possibilité sexuelle — au cas où (ça reviendrait) ; j’en étais
à des années-lumière. Pourtant, John pensait que tout était sexuel — et moi
aussi, mais alors tout. La vie, je
l'avais vue, j'avais vu la vie qui veut
— dans l’insouciance totale — avec tous ses péchés. J’étais obsédé par les
tableaux de Jérôme Bosch qui peignait ça : la vie qui vaut d’être vécue
dans l’insouciance la plus extrême, les vices, le plaisir, c’était inévitable,
inhérent, le plaisir et tous les sens, malgré — ou à
cause de ? — la morale catholique qui essaye d’y mettre un peu
d’ordre en vous promettant l’enfer, plaisir aussi, malheureusement (en tout
cas, à peindre), plaisir tout azimut, Le Jardin des délices ou La Charrette de foin, par ex. Oui, la vie qui vaut son imagination.
Labels: voyage
0 Comments:
Post a Comment
<< Home