T héâtre et balagan
Jean-Pierre Thibaudat est décidément très fort (qui en doutait ? pas moi !), « délicatesse
infirmière », par ex, du pur Baudelaire…
« Un diamant gros
comme le Ritz
Quand vient le Festival
d’Avignon, Yves-Noël Genod aime venir prendre ses quartiers d’été dans la
région. Ni « in » ni « off », il est « off limits » comme disait Adamov. On le
retrouve sur les marches qui conduisent au puits de pierres (ou de briques ?)
du théâtre de la Condition des soies, un lieu dont personne n’a encore percé le
secret de son étrange acoustique.
Genod y a déjà une fois
établi sa résidence d’été, le temps d’y fourvoyer un spectacle, bricolé et
répété dans une urgence venant secouer son apparente nonchalance.
C’est à nouveau le cas avec
Rester vivant, heure délicate et
pleine d’odeurs légères, passée à susurrer une brassée de poèmes puisés dans Les
Fleurs du mal de Charles Baudelaire.
Ce recueil est comme un diamant gros comme le Ritz dont chaque éclat est un
poème.
Les bijoux brillent mieux
dans la pénombre voire l’obscurité et c’est cette dernière que Genod a choisie
pour éclairer cette poésie intense et inattaquable dont chaque poème est un
bloc de densité, une forteresse imprenable.
Sa plaie, sa fatalité
Dans La Voix, Baudelaire dit sa naissance à la poésie alors
qu’enfant « haut comme un in-folio », son berceau adossé à la bibliothèque,
deux voix lui parlaient. L’une « insidieuse et ferme » lui vantait le « gâteau
plein de douceur » qu’est la terre. L’autre voix, plus mystérieuse et plus
coquine, lui disait : « Viens ! Oh ! Viens voyager dans les rêves, au-delà du
possible, au-delà du connu ! » De là date ce qu’il nomme sa plaie et sa
fatalité. Bref, sa poésie.
Je ne sais plus trop si
Genod dit ce poème mais le théâtre qu’il fait, ou plutôt défait, y ressemble.
Accordé à la voix consolante qui, à la fin du poème, dit au poète :
« Garde tes songes ; les
sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous. »
Ecouter la voix de Genod,
non pas légère mais précautionneuse, à la délicatesse infirmière, dire ces
poèmes dans une amicale obscurité met du baume au cœur et au corps. Le noir
ouvre mieux la voix et les murs du lieu la réverbèrent juste ce qu’il faut.
Enfin, comme un ciel naissant, vient le moment où Yves-Noël Genod allume une à
une, fichées dans les interstices du mur circulaire, les minuscules lumières
concoctées par l’ingénieux Philippe Gladieux. Alors on retrouve la silhouette
effilée et dégingandée du personnage (semblable au dessin de Rimbaud qui figurait
naguère sur l’édition en livre de poche de ses poèmes), sa veste de lumière qui
chatoie dans l’ombre, son chapeau emprunté à Lola Montès, film baudelairien.
On paie en sortant, ce qu’on veut, le champagne est
offert, avant ou après selon les jours, l’humeur, la plaie et le couteau. »
Labels: avignon
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