C hagrin d’enfant
Anaé s’était faite engueuler parce qu’elle parlait
trop fort. Elle parlait un peu
fort, disons, avec enthousiasme,
enfin, en tout cas, moi qui ne la voyais pas si souvent que ça, ça ne m’était
pas désagréable — d’autant que c’était à moi qu’elle parlait, son enthousiasme
dirigé vers moi, moi je la trouvais adorable — je le lui avais dis
d’ailleurs : « Que tu es belle ! », puis : « Je
trouve que tu as embellie ! » Elle m’avait dit « Merci » à
la première phrase, un merci automatique, mais la deuxième l’avait quand même
troublée (ou moi). Enfin, toujours est-il que mon père avec son appareil
auditif ne la supportait pas. Ou peut-être était-ce aussi que je devenais sourd
sans pourtant encore avoir besoin d’un appareil mal réglé comme celui de mon
père. A un moment, il avait dit — nous étions à table — : « Bon, je
le coupe, là ! », d'un geste rapide et furtif qui m’avait amusé. Un
gosse. Il n’entendait plus rien, il l’avait coupé. Mais il l’avait remis et la
tension était montée d’un cran. Plus tard, comment c’était ? Anaé n’était
plus là. Elle n’était pas là parce qu’elle s’était « faite engueuler
sévèrement par papé » et qu’elle « boudait », explication donnée
par « mamé », « Oh, il y avait besoin parce qu’elle parle vraiment trop
fort ! » Puis, encore plus tard, on apercevait une forme venir vers nous
que je mettais longtemps à reconnaître à coup sûr (car en plus d’être sourd, je suis
aveugle), c’était Anaé qui nous rejoignait pour la promenade — Dieu qu’elle était
belle (cette jeune fille) ! Mais Anaé ne disait rien — avec une
tristesse au bord des larmes presque craquante, presque inquiétante, les lèvres
closes, my leaps are sealed, je demandais à son frère : « Tu crois
qu’Anaé ne parlera plus jamais de sa vie ou bien cela ne va durer qu’un
moment ? » Et il me prédisait qu’elle n’allait pas parler de toute la
soirée, mais que le lendemain matin, pas de problème, ce serait oublié. Et voilà que, l’air de
rien, il me disait la vérité, une analyse parfaite. Il me
disait : « Le problème, c’est que, moi, par ex, avec mes parents, j’aime
bien me faire engueuler, je fais souvent exprès des bêtises parce que je sais qu’après mes
parents vont me consoler — et j’aime bien être consolé —, mais le problème,
c’est que mamé ne sait pas consoler. Alors, voilà. Voilà pourquoi tout ça est
si triste. Mamé ne console pas. « C’est parfaitement vrai, je lui
répondais, mamé ne sait pas consoler. » Et il me disait encore :
« Elle veut parfois consoler, mais
elle n’y arrive pas parce que consoler, ce n’est pas la volonté, c’est un don. — Tu as parfaitement raison, c’est un don. Ce n’est
pas la volonté.(Je répétais exactement ses mots.) On peut ou on ne peut pas
consoler et mamé n’a jamais pu. » Je lui disais qu’il avait la chance
d’avoir ses parents, ses parents consolateurs, mon frère et ma belle-sœur avec
qui je l’entendais plus tôt parler au téléphone d’une manière délicate. Le téléphone était sur le mode haut-parleur (sans doute papé qui le
met ainsi), alors souvent, dans la conversation, Solal disait, de sa petite voix, à sa mère puis à
son père : « Peux-tu parler un peu moins fort, ça me hurle dans
l’oreille », puis : « Peux-tu parler moins fort, je crois que je
vais devenir comme papé », ce qui m’avait fait rire et quand même mis la
puce à l’oreille (puisque c’est vrai j’entendais toute la conversation comme
magiquement dans l’Harmonie du soir). Un peu plus tard, toujours dans la promenade, après cet échange avec Solal sur l’incapacité de mamé à la
consolation (Notre besoin de consolation est impossible à rassasier), je voyais ma mère s’approcher d’Anaé, la prendre
par les épaules, ni maladroitement ni adroitement, et lui parler en confidence : « Regarde, je soufflais à
Solal, regarde : mamé qui essaye de
consoler Anaé ! » Plus tard encore, on aurait pu acter d’une certaine
réussite, d’une réussite certaine, car Anaé s’était remise à parler, plus
rapidement donc que ne l'annonçait la prévision de Solal qui sans la consolation essayée de
mamé avait d'abord remis la guérison au lendemain. Anaé
ne se coucha pas fâchée. C’est ce qui s’appelle le « pouvoir de
l’intention ». (Penser juste suffirait à soigner.) Ou le progrès humain. Ou Jaurès. Oui, « Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? »
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