V oici un décor pour tout jouer
Bonjour Yves-Noël,
Comme promis, je reviens
vers toi, plein de constatations sensorielles digérées mais aussi plein de
questions.
Précédemment je parlais de
théâtre « thérapeutique ». Pour moi, il peut en effet
« soigner » l'acteur, car il n'est pas dans l'effort de justesse, il
n'apporte aucune angoisse liée aux contraintes (techniques, spatiales ou
de temps). Pendant ces longues improvisations, je me suis senti devenir
théâtralement sans aucun effort tout en ne me ménageant pas pour tenter d'être
pleinement. Comme s’il nous était
permis de laisser sortir ce qu'il y a de théâtre en nous mais qu'on ne révèle
qu'en solitude, dans la douche, aux toilettes, dans son lit. Ces choses que
l'on cache bien pudiquement pour éviter d'avouer notre légère folie et se
persuader d'une « raisonnabilité » entendue qui conforte chacun dans
une réalité commune, mais qui sans doute, participe aussi à nourrir l'ensemble
de nos malaises. Quand la pulsion ne peut
être contenue, elle est tout de suite de trop car elle n'est pas normée, pas
nommée. Dans cet espace qui nous était donné lors de ces « rencontres
auditions », nous avions le droit de lâcher ces pulsions sans honte ou
sans a priori car le lieu théâtral était devenu intime. Il se transformait
alors en nos toilettes, notre douche, notre lit et la peur de dévoiler
quittait peu à peu ce lieu qui est compris et admis de tous comme publique. Dans cette façon d'aborder
le théâtre, l'intime devient publique sans voyeurisme ni perversion. En douceur
car il induit chacun de nous au même niveau d'ouverture. C'est en cela que je
trouve la parcelle de théâtre que tu nous as apportée comme
« thérapeutique ».
Et la première question ou
la première intrigue qu'il me vient, c'est : Comment s'introduit le public
là-dedans ? Est ce qu'il est à l'aise ? Est ce qu'il est curieux ? Est ce qu'il
devient pudique ? Est ce qu'il se libère à son tour ? Est ce qu'il a envie de
monter sur scène ? …
J'ai encore bien d'autres
questions, notamment j'ai fait des rapprochements dans ma tête avec André
Antoine et ce que tu disais sur la façon de porter un texte, tes recherches
vers un naturalisme du corps et de la voix, ta façon de vouloir supprimer
l'espace formel de la scène et du face-public. Tu me diras si cela te parle ou
si tu penses que je fais des rapprochements un peu simples entre ta vision du
théâtre et celle d'Antoine au XIXème.
Je vais m'arrêter là pour
l'instant. Mieux vaut y aller petit à petit pour comprendre, mais il y a plein
d'autres connexions qui sont venues me chatouiller l'esprit lors de ces
auditions...
Je te souhaite de passer de
bons moments au Mexique et espère que tu pourras répondre ou nourrir mes
réflexions encore un peu confuses.
PS : Tu m'excuseras si ce
mail et plein de fautes, l'orthographe et la conjugaison ne sont pas de mes
points forts.
A bientôt
Ça me fait bien plaisir, ce
que tu me dis ! Tiens, une phrase d'Emil Cioran qui pourra nourrir
tes « réflexions un peu confuses » : « Pour moi
l’homme n’existe véritablement que quand il ne fait rien. Dès qu’il agit, dès
qu’il se prépare à faire quelque chose, il devient une pitoyable
créature. » Je te conseille fortement de te plonger dans Hamlet et dans tous ses personnages. Tu m'as l'air d'attaque
! Voici un décor pour le jouer et je rajoute un très, très gros orage qui en
dit et qui en dit (mais je suis torse nu, malgré l'absence de portes dans la
maison où j'habite, il ne fait pas froid). J'aimerais bien que tu
transportes cette matière à toi tout seul (il y a Ophelia, etc.) Tu pourrais
faire beaucoup d'autres choses, mais commence par Hamlet, non ? dans les prochains jours... Je suis toujours
étonné à quel point les acteurs perdent leur temps. On se revoit en juillet ?
Tu seras par là ? Je veux dire par Lyon ? YN
Et aussi l'article de « Libé »sur Giorgio Agamben, le passage sur la « puissance ».
Labels: correspondance
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