Sunday, October 30, 2016

D ominique Issermann


Il me semble que Dominique Issermann ne veut pas forcer l'attention. Déployer des photos ? Dans l’aéroport de Roissy ? Elle aurait dit non si elle n'avait pas eu une idée furtive, une idée de disparition : utiliser les quatre cent soixante-dix panneaux d'affichage publicitaire Decaux déjà existants après et avant les douanes de l'aéroport. Toutes les trois minutes entre les films publicitaires se déclencheront à partir de jeudi 3 novembre des films d'une minute chaque sur trois photos de Dominique Issermann (parmi quatre-vingt) et cela pour les cent quatre-vingt milles voyageurs qui chaque jour passent par l’aéroport. C'est une manière de faire démocratique. La beauté est à qui la perçoit. Elle intervient par le hasard. Percevoir, Marcel Proust l'a montré et démontré n'est pas une action volontaire. Ça ne servirait pas à grand chose — en fait, ça dégoûterait Dominique Issermann — d’afficher ses photos sur des panneaux, des cimaises ou même dans des « beaux livres », elles ne deviendraient pas plus belles. En fait, elles deviendraient moins belles. La vraie beauté, l'inattention, le surgissement a peu de chance d'y apparaître. « L’état de l’apparition », disait Marguerite Duras qui cherchait aussi que les livres soient sans « apprêt ». Dominique Issermann préfère que ses photos restent dans le luxe cheap des magazines, qu'elles servent à « emballer le poisson », dit-elle, ou — belle trouvaille — qu’elles apparaissent sur des panneaux publicitaires déjà actifs, déjà corrompus. Alors que vous ne les attendez pas, avec un peu de chance : Beauté, Vie, Douleur, Amour aussi bien. Marguerite Duras a écrit des livres ouverts, des livres que le lecteur écrit autant que l'écrivain. Elle en avait trouvé le modèle dans l'excellence proustienne. Dominique Issermann — durassienne, en ce sens — cherche aussi à laisser ouvertes les portes et les fenêtres de l'attention et de l'inattention. La beauté, il ne faut pas la surjouer. Pas s’exclamer : « C'est beau » en légende ou dans l’encadrement de l'image. Non, bien entendu. Parce que la beauté, en fait, n'est pas visible. (Au fond, elle n’est pas visible.) Elle est la rigueur dans l'œil de celui qui regarde. Mais celui qui regarde, c'est vous, c’est moi. C’est elle. Je suis heureux d'être le contemporain de cette femme.

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