Saturday, May 06, 2017

L a Politique de village


« L’obsession contemporaine pour la ‘politique’ est par contre, plus mystérieuse pour moi. Comme l’on sait, le mot politique est un calque du grec. Depuis le petit âge on nous apprend du miracle grec, d’une invention extraordinaire. Depuis le même âge, on nous apprend à réunir et condenser dans ce mot ce qu’il y aurait de plus important, sacré, et au même temps humain, civilisé, haut. On nous apprend, donc, à considérer la relation entre hommes et femmes est plus homogène, plus important, plus sacré que tout autre relation (des humains avec des divinités, des humains avec la matière ou les autres êtres vivants, des humains avec le cosmos). On nous apprend à oublier que la relation entre hommes et femmes pouvait primer sur la relation entre humain et non humain seulement grâce à l’esclavage : si la politique se constitue sans véritable connexion à la ‘chrématistique’ ou à la science naturelle c’est parce que toute relation avec le non-humain était prise en compte par des humains réduits à de non-humains. Et on nous apprend, surtout, à oublier ou à négliger que la polis n’était rien d’autre que ce qu’on appellerait aujourd’hui village — ce qui plus est un village extrêmement sexiste et extrêmement raciste, c’est-à-dire dominé par la minorité masculine et soi-disant « autochtone ». La nation de ce point de vue (l’institution politique par excellence) n’a fait qu’amplifier le mode de vie propre au village. 
Penser politiquement la cohabitation humaine signifie vouloir façonner notre vie comme si nous étions dans un village : il signifie continuer à s’imaginer que la nature est hors les murs, et que à l’inverse, ‘dehors’ c’est un synonyme de non-humain, au sens physique et moral ; il signifie prolonger l’illusion qu’ici et seulement ici nous sommes entre nous et chez nous, car ici et seulement ici nous partageons quelque chose de commun et d’originaire, ontologiquement différent de ce qui est ailleurs ; il signifie perpétuer l’illusion que ce qui nous concerne en tant qu’hommes (possiblement de sexe masculin, hétérosexuels et adultes) est plus important pour notre futur et le futur de la civilisation que ce qu’il arrive aux autres. Malgré et contre l’esprit du temps, la politique reste un condensé de superstition humaniste archaïque et archaïsant. Et, surtout, elle est toujours animée par une volonté de purification : elle veut distiller du pur humain d’un monde où tout homme n’est qu’un croisement de matière et esprit végétal, animal et organique ; elle veut séparer le local, le territorial, le purement terrestre, de l’étendu céleste où tout homme occupe le monde dans sa totalité et ne pourra jamais être réduit à un seul espace. »

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