Monday, February 12, 2018

L ’Heure de l’autre


« Dans la névrose, l’objet se charge de cette signification qui est à chercher dans ce que j’appelle l’heure de vérité. L’objet y est toujours à l’heure d’avant, ou à l’heure d’après :
— si l’hystérie se caractérise par la fondation d’un désir en tant qu’insatisfait,
— l’obsession se caractérise par la fonction d’un désir impossible.
Mais ce qu’il y a au-delà de ces deux termes est quelque chose qui a un rapport double et inverse... dans un cas et dans l’autre ...avec ce phénomène qui affleure, qui pointe, qui se manifeste d’une façon permanente dans cette procrastination de l’obsessionnel par exemple, fondée sur le fait d’ailleurs qu’il anticipe toujours trop tard. De même que pour l’hystérique, il y a qu’il répète toujours ce qu’il y a d’initial dans son trauma, à savoir un certain « trop tôt », une immaturation fondamentale.
C’est ici… dans ce fait que le fondement d’un comportement névrotique, dans sa forme la plus générale, et que dans son objet, le sujet cherche toujours à lire son heure, même si l’on peut dire qu’il apprend à lire l’heure ...c’est en ce point que nous retrouvons notre Hamlet. 
Vous verrez pourquoi Hamlet peut être gratifié, qu’on peut lui prêter au gré de chacun, toutes les formes du comportement névrotique aussi loin que vous les poussiez, à savoir jusqu’à la névrose de caractère.
Mais aussi bien, tout aussi légitimement, il y a à cela une raison qui, elle, s’étale à travers toute l’intrigue et qui fait véritablement un des facteurs communs de la structure d’Hamlet :
– de même que le 1er terme, le 1er facteur était la dépendance par rapport au désir de l’Autre, au désir de la mère,
– voici le 2nd caractère commun que je vous prie maintenant de retrouver à la lecture ou à la relecture d’Hamlet, Hamlet est toujours suspendu à l’heure de l’autre, et ceci jusqu’à la fin.
Vous rappelez-vous un des premiers tournants où je vous ai arrêté en commençant de déchiffrer ce texte d’Hamlet, celui après la play scene, la scène des comédiens où le roi s’est troublé, a dénoncé visiblement aux yeux de tous, à propos de ce qui se produisait sur la scène, son propre crime, qu’il ne pouvait en supporter le spectacle.
Hamlet triomphe, exulte, bafoue celui qui ainsi s’est dénoncé, et sur le chemin qui le mène au rendez-vous déjà pris, avant la play scene, avec sa mère... et dont tout un chacun presse sa mère de hâter le terme ...sur le chemin de cette rencontre où va se dérouler la grande scène sur laquelle j’ai déjà tant de fois mis l’accent, il rencontre son beau-père, Claudius, en prière, Claudius ébranlé jusque dans ses fondements par ce qui vient de le toucher, en lui montrant le visage même, le scénario de son action. Hamlet est là devant son oncle dont tout semble indiquer, même dans la scène, que non seulement il est peu disposé à se défendre, mais même qu’il ne voit pas la menace qui pèse au-dessus de sa tête. Et il s’arrête parce que ce n’est pas l’heure.
Ce n’est pas l’heure de l’autre. Ce n’est pas l’heure où l’autre doit avoir à rendre ses comptes devant l’Éternel. Cela serait trop bien d’un côté, ou trop mal de l’autre. Cela ne vengerait pas assez son père, parce que, peut-être dans ce geste de repentir qu’est la prière, s’ouvrirait pour lui la voie du salut.
Quoiqu’il en soit, il y a une chose certaine, c’est qu’Hamlet qui vient de faire cette capture de la conscience du roi... « The play’s the thing / Where in I’ll catch the conscience of the king. » ...qu’il se proposait, Hamlet s’arrête. Il ne pense pas un seul instant que c’est maintenant son heure.
Quoi qu’il puisse par la suite advenir, ce n’est pas l’heure de l’autre, et il suspend son geste. De même ce ne sera jamais, et toujours dans tout ce que fait Hamlet, qu’à l’heure de l’autre qu’il le fera. »



« Et pourtant on vient de lui annoncer quelque chose qui ne ressemble en rien à une occasion de tuer Claudius. On vient de lui proposer un très joli tournoi dont tous les détails ont été minutieusement minutés, préparés, et dont les enjeux sont constitués par ce que nous appellerons au sens collectionniste du terme, une série d’objets qui sont tous à caractère d’objets précieux, d’objets de collection.
Il faudrait reprendre le texte, il y a même là des raffinements, nous entrons dans le domaine de la collection.
Il s’agit d’épées, de dragonnes, de choses qui n’ont de valeur que comme objets de luxe. Et ceci va fournir l’enjeu d’une sorte de joute dans laquelle Hamlet en fait est provoqué sur le thème d’une certaine infériorité dont on lui accorde le bénéfice du challenge.
C’est une cérémonie compliquée, un tournoi qui, bien entendu, pour nous, est le piège où il doit tomber, qui a été fomenté par son beau-père et son ami Laërte, mais qui pour lui, n’oublions pas, n’est rien d’autre que d’accepter encore de faire l’école buissonnière, à savoir : « on va beaucoup s’amuser ».
Quand même il ressent au niveau du cœur un petit avertissement. Il y a là quelque chose qui l’émeut.
La dialectique du pressentiment à ce moment — du héros — vient ici donner un instant son accent au drame.
Mais tout de même, essentiellement, c’est encore « à l’heure de l’autre » et, d’une façon encore bien plus énorme, pour soutenir la gageure de l’autre… car ce ne sont pas ses biens qui sont engagés, c’est au bénéfice de son beau-père, et lui-même comme tenant de son beau-père ...qu’il va se trouver entrer dans cette lutte, courtoise en principe, avec celui qui est présumé être plus fort que lui en escrime et, comme tel, va susciter en lui les sentiments de rivalité et d’honneur au piège desquels on a calculé qu’on le prendrait sûrement.
Il se précipite donc dans le piège. Je dirais que ce qu’il y a de nouveau à ce moment-là, c’est seulement l’énergie, le cœur avec lequel il s’y précipite. Jusqu’au dernier terme, jusqu’à l’heure dernière, jusqu’à l’heure qui est tellement déterminante qu’elle va être sa propre heure… à savoir qu’il sera atteint mortellement avant qu’il puisse atteindre son ennemi ...c’est « à l’heure de l’autre » que la tragédie poursuit tout le temps sa chaîne, et s’accomplit. Ceci est, pour concevoir ce dont il s’agit, un cadre absolument essentiel. »

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