O phélie (en pensant à Audrey)
« Naturellement je ne vais pas relire le rôle d’Ophélie, mais ce personnage tellement éminemment pathétique, bouleversant, dont on peut dire que c’est une des grandes figures de l’humanité, se présente comme vous le savez sous des traits extrêmement ambigus. Personne n’a jamais pu déclarer encore :
— si elle est l’innocence même qui parle ou qui fait allusion à ses élans les plus charnels avec la simplicité d’une pureté qui ne connaît pas de pudeur,
— ou si c’est au contraire une gourgandine prête à tous les travaux.
Les textes là-dessus sont un véritable jeu de miroir aux alouettes, on peut tout y trouver, et à la vérité, on y trouve surtout un grand charme où la scène de la folie n’est pas le moindre moment. La chose en effet est tout à fait claire.
Si, d’une part, Hamlet se comporte avec elle avec une cruauté tout à fait exceptionnelle qui gêne, qui comme on dit, fait mal, et qui la fait sentir comme une victime, d’autre part on sent bien qu’elle n’est point, et bien loin de là, la créature désincarnée ou décharnalisée que la peinture préraphaélite que j’ai évoquée, en a faite. C’est tout à fait autre chose.
À la vérité on est surpris que les préjugés concernant le type, la nature, la signification, les mœurs pour tout dire de la femme, soient encore si fort ancrés qu’on puisse, à propos d’Ophélie, se poser une question semblable.
Il semble qu’Ophélie soit tout simplement ce qu’est toute fille, qu’elle ait ou non franchi — après tout nous n’en savons rien — le pas tabou de la rupture de sa virginité. La question me semble n’être pas, d’aucune façon, à propos d’Ophélie, posée.
Dans l’occasion il s’agit de savoir pourquoi Shakespeare a apporté ce personnage qui paraît représenter une espèce de point extrême sur une ligne courbe qui va, de ses premières héroïnes filles-garçons, jusqu’à quelque chose qui va en retrouver la formule dans la suite, mais transformée sous une autre nature.
Ophélie, qui semble être le sommet de sa création du type de la femme, au point exact où elle est elle-même ce bourgeon prêt d’éclore et menacé par l’insecte rongeur au cœur du bourgeon. Cette vision de vie prête à éclore, et de vie porteuse de toutes les vies, c’est ainsi d’ailleurs qu’Hamlet la qualifie, la situe pour la repousser :
— « Vous serez la mère de pêcheurs ! » [« Why wouldst thou be a breeder of sinners ? » ( III,1)] »
Labels: cita hamlet
0 Comments:
Post a Comment
<< Home