C royance
Eh bien, je m’émerveille de ce mystère, cette dichotomie totale — qui est sans doute plus en moi qu’en lui : pourquoi je suis bouleversé par son livre — renversé, rempli par le par cœur de son livre — et pourquoi, en revanche, je ne comprends goutte à ce qu'il raconte (j’ai reregardé ton interview), l’impression d’un triple génie quand il écrit, Edouard Louis, et d’un triple débile quand il parle. C’est sans doute que je me fais confiance, moi, dans ma lecture, quant à la littérature, mais que je ne me fais pas confiance quant à la sociologie ou quant à la politique. Je ne comprends pas comment on n’a pas honte de sa bêtise. Moi, j’ai l’impression d’avoir honte de ma bêtise et ce qui caractérise les intellectuels (sauf très rares exceptions), c’est qu’ils n’ont pas honte de leur bêtise. J’ai écouté l’autre jour une interview de Duras que je ne connaissais pas, sans doute parce qu’on la cache, normalement, celle-là, c’est la pire — de loin, « Radioscopie » de Jacques Chancel, période Mao, en 1969. Inécoutable (jusqu’à ce que je finisse par me marrer) « Vous êtes sectaire, Marguerite Duras ? — Oui, je suis sectaire. — Vous n’admettez pas qu’on pense différemment de vous… — Non, je n’admets pas qu’on pense différemment de moi. — Mais, les Chinois, ils ne sont pas heureux. — Vous avez raison, les Chinois ne sont pas heureux, mais ILS LE SERONT. » Ça, pendant une heure, je crois. Pourtant Marguerite Duras est l’une des deux personnes vraiment intelligente que j’ai rencontrée dans ma vie. Je ne sais pas pourquoi on ramasse sa bêtise avec soi-même, sous soi-même comme ça. Je voudrais bien le savoir, pour comprendre comment, moi, je le fais aussi, forcément, si c’est à ce point inévitable. Bien sûr Tchekhov en a parlé, Shakespeare et Proust en ont parlé, Houellebecq en parle beaucoup, les écrivains normalement en parlent, mais Edouard Louis me touche et lui n’en parle pas. Il reste tragique (la colère), il est pur avec sa bêtise et sa tragédie est sublime. Allez, je vais le dire, au fond, ce que je pense, je viens de visionner Problemos qu'un ami m'a téléchargé (scénario de Blanche Gardin) et j'ai bien rigolé : on ne peux pas accuser le « système », les « riches » ou la « société » du poids du monde, c'est mentir, bien que la violence sociale soit insupportable (d'être supportable). On peut nommer dans un livre cette violence car, un livre, ce n’est jamais son sujet, un livre — c'est le miracle — parle toujours d’autre chose que de ce dont il croit parler (et de ce dont le lecteur ne sait pas qu'il parle), il parle de cette littérature intérieure qui n’a pas de nom, peut-être même pas de mots — et c'est pour ça que j'y crois.
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