Sunday, February 17, 2019

C apsule de temps


« D’une certaine manière, un journal intime, par exemple, est une capsule de temps… Les travaux de Paul Ricœur ont montré en quoi la narration entretenait un lien étroit avec l’identité. La narration de soi sans cesse renouvelée est une forme de conjuration contre le risque d’éparpillement du sujet. Elle permet d’inclure « le changement, la mutabilité, dans la cohésion d’une vie » (Temps et récit III, Seuil, 1985), de peindre un moi « ondoyant et divers », pour reprendre la formule de Montaigne. » 


« Par définition, l’écriture est une capsule de temps, dès son invention en fait : que sont d’autres les tablettes d’argile que l’on faisait cuire à Sumer, sinon des supports mémoriels ? Comme l’a bien montré André Leroi-Gourhan, la mémoire chez l’être humain est constituée par l’artefact… Alfred Lotka, un penseur que cite Bernard Stiegler, utilise pour décrire cette externalisation de la mémoire, le concept d’exosomatisation ; il explicite très bien en quoi elle a été décisive dans l’hominisation. Mais à l’ère du numérique, nous assistons à une prodigieuse extension matérielle de la mémoire ; avec le Big Data, nous sommes maintenant en mesure de transférer notre mémoire sur des machines, de nous en remettre uniquement à elles… On peut craindre que ces machines amenuisent nos capacités mnésiques et donc que l’hypermnésie tende vers l’amnésie. C’est le problème qui se pose avec ces capsules de temps dématérialisées… La time capsule est donc un objet très tentant pour la littérature, mais comme tu le suggères, avec l’avènement des techniques de stockage numérique, la saisie est bien plus large et cette hypertrophie pointe, en creux, notre caducité. C’est d’ailleurs sur cette dernière que cherche à se construire le délire transhumaniste, qui voit dans notre finitude une forme de déficience originelle. »

Labels:

0 Comments:

Post a Comment

<< Home