Friday, May 08, 2020

Moi aussi, j'ai quelques cadeaux pour toi. Quelques temps que je voulais t'écrire déjà, je viens de finir Mon année dans la baie de Personne de Peter Handke et vraiment (sans mentir, hein) j'ai pensé à toi parfois pendant la lecture. Comme des échos forts forts à tes mots qui sautaient jusqu'à nos oreilles dans notre enceinte du paradis. 
Je te laisse quelques mots de Handke alors, tu me diras.
Celle ci est à propos de son ami le chanteur (c'est trop beau ce qu'il dit sur ses amis, il ne les voit que très peu mais ne les perd jamais, au contraire il les suit en pensée, il se les imagine dans leurs espaces à eux et la relation ne fait que grandir, la présence n'étant pas obligatoire ; ce qui est bien réelle pour nous aujourd'hui. Les relations ne s'éteignent pas avec l'absence corporelle et, bien au contraire, elles évoluent, je trouve...) 
«  Mais lui était encore un cran plus à sa place qu'eux ici, et il jouait le lendemain encore, à quoi ? à se perdre. Et en même temps il ne se sentait jamais seul. « Je suis avec ma chanson » » 
Et les autres 
« Qu'un lieu qu'on croyait mort s'éveilla de nouveau à la vie, était-ce, pas seulement, mais aussi au pouvoir du lecteur ? »
« Je commençai par décider ce qui ne devait pas apparaître dans mon enregistrement de cette année dans la baie. Quant à ce qui y apparaitrait, on ne pouvait pas le décider à l'avance; cela, pour paraphraser Wittgenstein « se montrerait », et mon écriture suivrait cela. »
« Je suis tombé de plus en plus dans le jugement, qui me rend odieux à moi-même et qui est mortel pour l'imagination, la meilleure part de moi-même. »
« L'imagination n'est pas une illusion. Et quand elle venait ainsi, je remarquais combien elle m'avait manqué, tout ce temps déjà, toute la journée. Regarder, absorber, être absorbé : mon pain quotidien. Est ce que nous n'avions donc pas besoin tout de même de la suite, du recommencement ? »
« Assis avec mes crayons dans le fauteuil sur la terre nue, devant le va et vient des eaux, je voyageais avec le jour à travers le monde. Qui connait, qui peut me raconter un voyage plus beau ? » 
« Ma propre écriture, comparée à la sienne, me paraissait laide, insignifiante, et j'aurai voulu qu'elle fût aussi indéchiffrable, dense et fine que celle de l’enfant » 
« Un enfant, me disais-je, continue la joie dans le monde, et le monde, qu'est-il d’autre ? » 
PS : Merci pour Haenel, en voilà un autre qui a les mots sincères  (je t'envoie aussi le cerisier en fleur en face de ma fenêtre) 
Je t'embrasse 
Salomé 

Quelle chance et quelle force tu as d’avoir pu aller au bout de Mon année dans la baie de Personne ! J’avais pris ce livre avec moi pour venir à Nantes, mais je l’ai délaissé, le trouvant trop ardu, l’ayant lu parfois à haute voix à la coiffeuse qui m’aidait à en comprendre le sens. J’ai lu tous les Handke courts avec délice, mais les Handke longs (spécialement celui-là) m’impressionnent. Handke va si loin dans la contemplation, je le vois presque à l’état de sainteté, ça me fait peur. Mais que tu l’aies lu va me motiver à continuer. Cette disponibilité que tu as, d’ailleurs, ne m’étonne pas puisque c’est celle que j’ai rencontrée lorsque l’on pouvait encore se parler de près. Jouer à se perdre, que c’est beau ! comme je me le souhaite ! Voilà une chose qu’on ne peut que se souhaiter à soi-même, d’ailleurs, jamais aux autres, trop dangereux. Ou, bien sûr, poétiquement, sur un plateau de théâtre. Se perdre : augmenter le mélange… Jouer chaque jour, oui, « voyager avec le jour », c’est bien la beauté qu’il me tente de vivre pendant ce temps abstrait. Toutes les autres phrases sont sublimes. C’est ça qui m’empêche de lire ce livre : je ne comprends pas que, de ces phrases essentielles, il y en ait des pages et des pages et des pages. Je garde celles que tu m’as choisies comme des trésors spéciaux, vivants car tu les incarnes en les choisissant. Et, de même, merci infiniment pour le cerisier en fleurs. Devant lui (ou l'un de ses frères), je passerais bien la journée et la vie. Ça va si vite. Le prunier dont on admirait les fleurs a déjà des petites prunes vertes à la place (il donnera en août). Et voilà que je retrouve le problème Handke (qui n’est sans doute que son intelligence supérieure) : comme lui, je pourrais contempler et ne rien faire que ça — mais alors comment se fait-il que lui ne fait pas que ça ? Son amour de la forme, répond-il. « Sans mon amour de la forme, je serai devenu contemplatif » (de mémoire). Oui, c’est un amour que je n’ai pas — ou que je laisse à l’état d’inconscience (que ça naisse de soi-même comme dans la rue). J’aimais que les formes disparaissent, je jouais, moi, à les faire disparaître (mon association ne s’appelle-t-elle pas Le Dispariteur ?) Comme tes mots me rassérènent ! Je suis donc encore joignable, même par un technologique email : un signe de vie, une bouteille à la mer… Excuse-moi, ma sensation paranoïaque du moment est amplifiée car on m’a prêté Netflix et que je suis tombé sur Black Mirror ; ça me fait à peu près le même effet que Faites entrer l’accusé ou que Behind Mansion Walls : ça m’empêche de dormir ! 
Toute mon amitié, chère Salomé, 
Yvno

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