L a Néguentropie
Coucou Yves-No,
Avant qu’on ne se retrouve demain, je voulais te remercier pour le pied monstrueux que j’ai pris y a deux semaines dans cette Grande Halle. Je voulais aussi te parler d’un truc qui pourrait t’intéresser. Ce qu’on a fait dans la halle et ce que tu nous as dit tout au long de cette journée m’a fait penser à un philosophe qui m’a beaucoup intéressé depuis quelques mois.
Tu connais peut-être Bernard Stiegler, c’est un philosophe de la technique et du temps, éblouissant, décédé en août dernier. Il a fait de la philosophie un point de rencontre entre chercheurs, ingénieurs, anthropologues, etc. Dans sa multitude de concept il y a un qui correspond tout à fait à ce qu’on a essayé de faire ensemble.
Il explique — et j’essaierai de ne pas le trahir — qu’avec Newton s’est faite l’idée d’un univers plein, stable et, avec Lavoisier, « où rien en se perd, ni ne se transforme ». Quand le physicien Sadi Carnot invente la thermodynamique, on entre dans une ère nouvelle où l’on comprend que quelque chose se perd bien : l’énergie. On découvre alors l’entropie, cet inexorable voie vers le chaos. Tout notre système économique est un phénomène entropique, on le constate partout où tout s’épuise, se délite, se détruit à grande échelle.
Je te raconte tout ça parce que Bernard Stiegler développe le concept de la « néguentropie », c’est-à-dire d’entropie négative. La néguentropie c’est — à l’inverse de l’entropie donc — la complexification des systèmes, la multiplications des cellules, enfin la création, quoi. Une plante qui pousse c’est de la néguentropie parce qu’elle se développe par multiplication de ses cellules, même chose pour un bébé, etc. Ce qui est intéressant, c’est que la néguentropie, qui lutte contre le chaos, ne peut être que limitée dans le temps (une vie humaine, etc.) et que limitée dans l’espace (un corps, etc.). Politiquement, ça peut avoir des applications déterminantes en termes de soutenabilité, de démocratie.
J’en arrive à ma conclusion. Ce que l’on fait dans cette grande halle qui est si locale et si temporaire, si fragile face au chaos du monde, c’est un épisode néguentropique ; et, pour cette raison, c’est hyper important et hyper précieux. C’est une sorte de révolution copernicienne, tu vois. Et finalement, c’est un peu toujours ça, ton travail, et c’est pour ça que je l’aime tant : juste espace, juste quelques personnes, juste un temps et, boom, c’est déjà une révolte, c’est déjà de la poésie.
Avec toute mon impatience,
À demain
Il y a un autre mot, une autre expression que j'ai entendue ce matin pour ce que tu dis et ce que nous faisons, c'est : un refuge dans la vie. Bien à toi, très cher
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