Le Salaud sartrien (fragment d'un échange avec Philippe Duke sur IG)
C’est un tel luxe de se sentir appartenir à une communauté — que je n’ai pour ma part jamais obtenu. Je n’ai jamais été accepté par aucune communauté. Sauf, par épisodes, quand je joue — et c’est si rare — et ça s’arrête… (communauté très éphémère avec le public). C’est probablement pour cette sensation qui me manque — appartenir — que je joue. Je vous envie sincèrement et vous admire tout aussi sincèrement car je me sens coupable de cette non-appartenance, de ne faire partie d’aucune communauté, d’aucune croyance. J’ai couché avec beaucoup d’hommes, mais tristement, jamais en rejoignant la communauté. De là à me faire traiter de « salaud »… je trouve que vous y aller un peu fort. Salaud, ok, je le suis aussi, mais cela me rappelle quand même maintenant la phrase que j’avais prononcée dans un stand-up chez Boris Charmatz (à Bobigny) : « Les militants sont des salauds comme les autres » et qui avait fait se lever et partir ostensiblement cinq personnes devant moi
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En effet, ma sœur est morte du sida. Elle ne faisait pas partie non plus de la « communauté sida », même consolante — ou peut-être un peu (je n’ai pas eu le temps d’en parler avec elle parce qu’elle m’avait caché sa maladie), au sens où le dit Richard II dans sa prison que « nous ne sommes pas la première victime de la fortune et que nous ne serons pas la dernière ; comme ces mendiants stupides qui, assis au pilori, donnent à leur ignominie ce refuge — que bien d’autres y ont été et que bien d’autres encore y seront assis — et qui trouvent ainsi une sorte de soulagement à mettre leur propre infortune sur le dos de ceux qui ont déjà enduré la pareille ». Je me souviens de Claude Régy s’engueulant avec Alain Neddam (un moment son assistant) parce qu’Alain lui demandait de rejoindre une association qu’il avait initiée de lutte pour les droits et de soutien aux artistes victimes du sida (je ne sais plus comment c’était formulé) et de cette phrase qui est restée sur mon disque dur (j’étais si jeune) : « Mais en quoi le sida d’un artiste serait-il plus intéressant que le sida d’un charcutier ?!! ». L’emploi du mot « salaud », lui, me ramène souvent à la célèbre phrase de Kafka : « faire un bond hors du rang des assassins ». Mais, là non plus, hélas, je n’arrive pas à imaginer Kafka faisant un bond pour rejoindre une quelconque communauté, la communauté de ceux qui seraient sortis du rang, qui auraient fait ce bond… Cette solitude dans laquelle je suis est terrible. J’en parle dans ce dernier spectacle — avec le secret espoir de commencer une autre vie, une vie de communauté — ou peut-être simplement de me diriger vers la mort… Bon, j’arrête, pardonnez-moi. J’en ai dit beaucoup, là. Bien entendu, les photos que vous montrez sont sublimes. C’est dans votre Nota Bene que je ne me reconnais pas
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