Je me demande si la relecture n’est pas la lecture, si même la lecture n’est pas déjà la relecture. Il y a, bien sûr, que le temps nous est épouvantablement compté et qu’on se dit : mieux vaut découvrir ce qu’on ne connaît pas encore (qui est infini) plutôt que relire comme on l'aimerait. Or il n’y a qu’une chose à faire, c’est relire à l’infini — pendant cette durée de la vie qui est si courte — les textes sacrés. Relire, c’est aussi relire la perfection. Il faut lire avec ce souci de perfection. Même les films. J’ai revu (encore !) hier au soir Le Samouraï. Film parfait. (Tant pis pour les autres.) Et même si je me désole de ne pas la lire chaque jour (chaque jour quelques pages, comme le fait, je crois, Laure Adler), tout ce que je lis — ce que je lis de parfait — est rattaché à la Bible, mérite d’être rassemblé comme le savoir humain unique dans un seul et même livre qu’on appellera alors la Bible comme on dirait la Sagesse. La Sagesse de la Douleur de notre rapport au monde qu'il faut réécrire chaque jour (et déjà dit pourtant). Un exemple de perfection ? Arthur Rimbaud, fin d’Une Saison en enfer, relue au réveil ce jour d’hui 23 août : « Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le coeur l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer — les premiers ! — Noël sur la terre ! » Même si le livre disparaît, même s’il est brûlé, même si l’humanité est détruite (elle le sera), ces lignes auront été lues — pour toujours, oui, je le pense. A ma tante aveugle, j’avais proposé, l’autre jour, de lui faire la lecture. Nous étions sur la terrasse qui donne sur la rivière de Morlaix qui se remplit et se vide avec la marée. Je n’avais rien prévu, qqch de court que j’aurais trouvé sur mon tél. Une fable de La Fontaine ? Un conte de Grimm ? Un conte breton ? Une page de l’Evangile ? Sans réponse, j’optais pour une page de l’Evangile en rapport avec l'un des textes de Rimbaud que j’avais relus le matin qui sont parmi mes préférés, Rimbaud réécrivant, paraphrasant des scènes de la vie de Jésus tirées des Evangiles — il n'existe que 3 de ces textes comme si Rimbaud avait eu un projet plus vaste et qu’il s’était arrêté là. On appelle ces 3 textes, les Proses évangéliques. Elles sont sublimes. Et aussi parce que ma tante était très religieuse, je dis était parce que le texte que je lui ai lu, l’épisode de la Samaritaine qui m’a mis, moi, plusieurs fois des sanglots dans la gorge et qui l'a émue aussi, elle m'a assuré en faire la connaissance. « Si, tu le connais très bien — tu l’as oublié, mais tu le connais. » Qu'est-ce que c'est la religion quand on en oublie les textes ? Peut-être s'approche-t-on alors du « Pur Néant en Dieu » cher à Maître Eckhart...
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