Sunday, February 10, 2008

Hamlet, texte de Guillaume

Tous les événements, témoignant contre moi, éperonnent ma molle vengeance. Que vaut un homme dont le bien suprême et le meilleur emploi du temps est de manger et de dormir ? Un animal, sans plus. Certes le créateur, qui permit à notre esprit une si large ouverture sur l’avenir et sur le passé, ne nous a-t-il pas donné cette idoine et quasi divine raison pour que nous la laissions moisir inactive. Mais, sinon par oubli bestial, du moins par un scrupule timoré qui réfléchit trop minutieusement aux conséquences – réflexion composée d’un quart de sagesse et de trois quarts de couardise – j’en suis encore à douter si je ne vis que pour me dire : « Ce geste-ci doit être fait. » Cependant que j’ai motif, volonté, force et moyen de l’accomplir. Des exemples épais comme la terre m’exhortent ; témoin cette armée, nombreuse et coûteuse, que conduit un délicat et tendre prince dont le courage, enflé d’une ambition divine, fait fi du hasard invisible et risque ce qui est mortel et peu sûr, dans tout ce que le destin, la mort et le danger font surgir – et cela pour une coquille d’œuf ! Être grand, c’est ne guerroyer point sans grande cause, mais c’est trouver grande cause dans un fétu dès que ce qui est en jeu c’est l’honneur. Où donc en suis-je ? moi dont on a tué le père, souillé la mère, crimes devant quoi le cœur et la raison s’insurge, et qui laisse tout dormir ; cependant, je vois, pour ma honte, vingt milles hommes prêts à mourir, pour un caprice, un hochet de gloire ; à se coucher comme en un lit dans le cercueil, combattant pour un espace trop petit pour y étaler leur conteste, trop peu profond pour y cacher leurs morts. Désormais toute pensée qui ne soit pas de sang, je la renie.
Hamlet, acte IV, scène IV.

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