Tuesday, April 08, 2008

Discours aux acteurs un soir de première (Hamlet)

Y a pas de combat à mener (vis à vis du public) – il faut plutôt déjouer, ne pas laisser le public vous juger : il n’y a pas d’effet de virtuosité, il n’y a rien à voir, tout se passe ailleurs que là où on croit, rien n’est « représenté ». Chaque fois, c’est des choses que vous enlevez, pas des choses que vous rajoutez. C’est un spectacle en creux complètement mystérieux, invisible, dématérialisé, il ne faut pas tenter de le rematérialiser. La seule chose que vous pouvez intensifier, ce sont les habitations, c’est à dire les imaginations, les sensations, ce qui vous tient à cœur, ce qui vous habite, ce dont vous êtes fait ; jouer des personnages (ou autre chose que des personnages), c’est avoir la capacité de disparaître derrière les habitations de ces personnages, de ces mondes en soi. Ce spectacle, nom de Dieu, doit être plus beau qu’une randonnée en montagne dans les neiges d’avril, plus beau que de partager les premières années, les premiers émois d’un enfant, plus beau que le prochain été ou les plus beaux étés de vos enfances ou l’été particulier où vous avez particulièrement aimé quelqu’un, plus beau que la promesse d’un Eden et plus beau que les regards d’agonie qu’Emily Dickinson aime « parce qu’ils sont vrais », plus beau que le monde animal – ou alors ce ne serait pas la peine de le faire – et, en un sens aussi, ce n’est pas la peine de le faire – mais il va se faire tout seul s’il le veut et s’il le vaut, mais laisser le se faire, chacun de vous n’est que l'un des organes sensibles – et nécessaires – d’un spectacle très expérimental, d’un esprit de spectacle dont personne n’a vraiment l’idée parce qu’il n’existe pas en dehors de tous. Et la totalité, nous n'y avons pas accès. La totalité divine. Nous en dévoilons des aspects, mais presque sans nous en rendre compte. Ce n’est qu’une très petite partie du travail qui devrait se dérouler sur des mois et des années... C’est un travail un peu plus poussé que d’autres sur la déconstruction, il faut qu’on le sente, qu'on dégage de l'espace... Dans le mailing de la Ménagerie, je parlais de vous comme d'« une troupe de fauves transparents » ; soyez donc plus rapides, violents et légers !






(YNG, le 1er avril 2008, Ménagerie de verre.)

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