Saturday, July 05, 2008

L'art, c'est rare, la lettre à la DRAC

Une lettre envoyée après l'échec de ma demande 2007 et retouchée, quand même, je dois l'avouer, pour ici.






Objet : Yves-Noël Genod se fache à baldaquin



"Souvenez-vous que ne pas obtenir ce que vous voulez est parfois un merveilleux coup de chance.", me dit le Dalaï Lama.
"Ce qui doit arriver ne peut pas manquer.", me dit François Bayrou (reprenant Henry IV).

Très intéressant François Bayrou dont Jean-Marc Adolphe rédige en ce moment le projet culturel. Un projet qui prévoit, entre autres, la suppression pure et simple des commissions DRAC - "dont tout le monde se plaint", me dit Jean-Marc -.

Cette année, j'ai fait six créations qui ne sont sans doute pas de danse, mais qui ont toutes été présentées dans des festivals de danse (Artdanthé, Montpellier-danse, Agitato à Rennes, Parcours de Danse à Chamarande, Marseille Objectif Danse (avec ActOral), Les Inaccoutumés) plus une reprise (Le Dispariteur à Étrange Cargo), des performances (La Criée à Rennes, Fondation Cartier, La poste...), un stage (Laboratoires d'Aubervilliers) - je n'ai pas eu une demi-journée de vacance et j'ai employé des dizaines de personnes, principalement des danseurs (voir liste plus bas, pour ceux que ça intéresse).

L'argument "ce n'est pas de la danse" n'a pas de valeur. Depuis les deux derniers siècles accélérés (et certainement depuis toujours) chaque fois qu'une forme est nouvelle, "ce n'est pas". Beethoven, ce n'est pas de la musique, Stravinsky non plus (disait pourtant Duras), Van Gogh, ce n'est pas de la peinture ni Picasso, Duras, ce n'est pas de la littérature (selon Stravinsky) et encore moins du cinéma (selon le monde du cinéma), Claude Régy ce n'est pas du théâtre (mais pas de la danse non plus), etc. (Je me souviens même avoir lu dans un dictionnaire de la chanson, que Barbara, cela n'en était pas !) Bon. VOUS LE SAVEZ PARFAITEMENT. Et l'idée de demander la création d'une nouvelle catégorie Télérama "Les inclassables" (Florence Broizat qui a écrit le premier article sur moi s'occupe des "inclassables" à Télérama), cette idée que vous faites circuler vaguement, comme un espoir, vous auriez dû déjà l'avoir il y a trente, quarante ans et ça n'y changerait rien ! Les commissions (ou, dans l'édition, les comités de lecture) ne subventionnent que l'art officiel, c'est à dire, pour le coup - l'histoire le prouve - vraiment ce qui N'EN EST PAS DU TOUT (sauf exception et inversion de l'inversion).

Vous savez qu'on est en train de (re)découvrir le génie du vingtième siècle. En littérature. Elle vendait à deux cents exemplaires. Pourtant repérée. Toute l'histoire littéraire du vingtième siècle est en train de s'effondrer et de se réorienter autour d'elle. Hélène Bessette. Hélène Bessette remettait tout en cause à chaque fois, les fondements et la forme. Hélène Bessette est cette femme qui a été détruite par les comités de lecture et qui est morte en 2000 pratiquement inconnue, à moitié folle. C'est maintenant. Je connais aussi un peintre de génie, Gérard Béringer, vivant, lui, soixante ans, inconnu du marché. On attend sa mort. Ça explosera. Pendant ce temps, l'État ou la ville de Paris achète du vide à coup de millions (l'argent existe) : voyez les commandes pour le tramway, voyez l'œuvre de Fabrice Hybert à la Villette. Cela s'appelle - ça n'a qu'un nom - "l'art officiel" et ça N'EN EST PAS. C'est l'art du "désir fort". Celui dont rêve tout programmateur en son miroir. Vide, vide, vide. Je suis plutôt optimiste, je pense que les choses finissent - avec le temps - par apparaître, certaines, pas toutes, et sans que les autres, celles à durée de vie limitée, n'en soient officiellement le moins du monde entravées. L'art pompier. Mais pour l'art qu'on nomme vivant, je crois que c'est plus fragile. J'ai confiance en moi, ce que j'ai fait est une œuvre de seize spectacles dont la moitié sont des chefs-d'œuvre, une œuvre qui n'a pratiquement rien coûtée - et c'est ce rien-coûté qui réussit à choquer. Ce rien a néanmoins été distribué, parcimonieusement, à des dizaines d'interprètes. J'aurais aimé au moins qu'on me foutte la moyenne pour ça ! J'aurais aimé que "mes amis", ceux qui m'ont programmés, défendent mon travail et emportent le morceau ! Ç'eut été facile, vous étiez en majorité. Je ne peux évidemment pas en vouloir aux personnes que je ne connais pas, même si j'envoie cette lettre à tous.

La démocratie (ou son simulacre) n'a rien à voir avec l'art. L'art a à voir avec la vérité. Quand on est sur un plateau, la seule chose qui intéresse un interprète ou un metteur en scène, c'est de ne pas tricher. C'est pas facile. Quand on demande son avis à tout le monde, rien d'artistique ne peut - par définition - avoir lieu (cf la consultation pour les Halles). La vérité, c'est la vérité, ce n'est pas l'opinion. En revanche, ce qui a à voir avec l'art, c'est l'habitation des gens qui misent. Qui font des paris. Ce dont l'art a besoin, c'est d'engagements personnels, de passions - pas d'intérêts modérés ou d'inintérêts carriéristes. L'art, c'est rare. L'art, c'est la vie, les commissions le tue. Kafka parlait de : " faire un saut hors du rang des assassins". Vous êtes, nous sommes, des assassins - payés par l'État ou par des intérêts privés.



Yves-Noël Genod

"But you cannot listen to the general opinion. You’d end up doing a little watercolour of a bowl of violets." confirment Gilbert and George aujourd'hui dans "The Guardian".

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