Thursday, December 18, 2008

Une lettre à Boris Charmatz

Boris, je viens de visionner le DVD d'un spectacle dont j’ai vu cet été une version dans une petite et blanche église de village perché en Bourgogne et qui représente pour moi, sans aucun doute, CE QUE J’AI VU DE PLUS BEAU DE MA VIE. J’ai eu, pour le dire simplement, l’impression absolue d'avoir devant moi la réincarnation même de Nijinski – puisqu'il s'agit d'un poème de Nijinski au bord de la raison, de la terreur et de la beauté. Ce spectacle est porté par Bénédicte Le Lamer avec qui je viens de travailler à Vitry et à la Ménagerie et qui est, pour moi, la plus douée des actrices de théâtre de France que je connaisse. Pascal Kirsch et Bénédicte ont réalisé, avec les musiciens, plusieurs versions (absolument minutées) de ce travail de deux ans, celle que j'ai vue dans la petite église était la plus dépouillée (mais il en existe, je crois, une plus courte encore) puisqu'elle ne concernait que Bénédicte et un saxophoniste (excellent), Florent Manneveau. C'est celle que j’ai tendance à préférer puisque c'est celle que j’ai vue (et pour toujours : jusqu'à ma mort), mais toutes les versions doivent être merveilleuses.

Je pense que ce travail ne peut que te passionner.

Évidemment le DVD (de qualité) n’est qu'une pâle lumière de ce que j’ai vécu - mais n'est-ce pas pour cette lumière spéciale de la vie que nous faisons des spectacles plutôt que des images ? Je vais demander à Pascal de te faire parvenir ce DVD.

Les gens pensent que la vie dépend du soleil, je sais que la vie dépend des gens.

Pascal et Bénédicte reçoivent un accueil presque glacé comparativement à ce que – nous, quelques-uns – pensons d'eux. Je crois savoir pourquoi, j’en ai une théorie en tout cas. Bénédicte a le génie instinctif – et ne peut-on dire : la santé ? – dans sa vie suprême – de ne parler – quant au sens – que de la mort et de la folie et c’est de ce diapason qu’elle fait sonner – de ce don – qu'elle crée, par déflagration stupéfiante, un espace de liberté et de vérité qui semble insupportable pour certaines personnes – parmi lesquelles (pour ne pas toujours accabler ces pauvres programmateurs) se comptent même des artistes, comme François Tanguy, par exemple, qui, nous le savons, ne peut supporter rien de vrai, de puissant qui soit autre que ce qu’il fait lui-même et qui était littéralement hors de lui, comme une bête enragée, prêt à tuer, prêt à brûler dans la nuit qui a suivi le spectacle présenté à la Fonderie du Mans. Je n’avais pas encore vu le spectacle quand on m’a raconté ça, mais j’ai pensé : ça veut dire que c’est quelque chose d’immense. Je n'ai pas été déçu, ce que j’ai vu, comme je te l’ai dit au début de cette lettre, a dépassé tout ce que j’aurais pu imaginer.

Je pense qu’il s’agit d’une forme qui pourrait se présenter dans le cadre d’accueil-studio ou des ouvertures des centres chorégraphiques plutôt que du côté des théâtres traditionnels – à cause de son sujet, Nijinski, et de son aspect performatif. J’imagine aussi que ce sujet résonne peut-être avec tes dernières recherches.
Tu es en tout cas le premier à qui j’en parle.

Réserve à mes amis ton meilleur accueil, ces gens le mériteront.
Voici leurs coordonnées : cie.pequod@free.fr

Bien à toi

Yves-Noël

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