Sunday, May 31, 2009

Les interlocuteurs

Salut, Christophe,

Dimanche et la conversation que nous avons eue après le spectacle continue bien évidemment de résonner.

Faire une œuvre est justement ce que - si je décide jamais quelque chose - je décide de ne pas faire. Je me dis - mais avec fureur - ne cherchant jamais à faire le jeu pourtant évidemment nécessaire de la carrière - que s'il y a quelque chose, ça "apparaîtra tout seul", un peu comme Alberto Giacometti disait à Jean Genet qui s'étonnait qu'une petite sculpture de plâtre et fragile soit laissée dans les copeaux au sol où l'on pouvait marcher dessus : "Si elle est réussie, elle remontera bien d'elle-même"...
Et aussi parce que je m'ennuie (souvent) à ce qui se présente (c'est une plaie) sur un plateau comme une œuvre. (Mais à quoi je pense quand je dis ça ?)
Non, pour moi, le théâtre se fait à l'endroit du spectateur (ça vient du Théâtre du Radeau et des Grecs !) et c'est seulement en vue de cet endroit-là - une rencontre, peut-être - que je mets des moyens à disposition.
C'est cet endroit-là, l'ouverture maximale (incluant, bien sûr, le contresens) que j'essaie. Et s'il y a quelque chose, ça apparaîtra... "C'est ça l'essence de la magie, qui ne crée pas, mais invoque.", dit Franz Kafka. Cet "interlocuteur" dont tu me parlais. Ce qu'il y a sur le plateau, je ne m'en occupe pas. (Il y a à la fois malheureusement forcément quelque chose et à la fois toujours beaucoup, il n'y a qu'à se baisser pour ramasser.) Il n'y a littéralement pas d'œuvre. Mon moment préféré c'est quand la fumée recouvre la moitié du plateau (je pousse toujours le régisseur à en mettre plus) de même qu'une de mes meilleures réussites était le spectacle dans le noir total à la Ménagerie (évidemment intitulé Le Dispariteur).

Mais j'ai conscience qu'il s'agit là, comme tu me l'as dit, au moins d'un fantasme. (De même qu'un écrivain peut rêver que le livre qu'il écrit va effacer tous les autres.) C'est pourquoi les questions que tu m'as posées hier, formulées avec brio, sont celles qui m'intéressent et que je me pose aussi. Celles aussi, formulées par toi, qui me donnent de l'espoir.

C'était un plaisir de passer en ta compagnie ces heures nocturnes jusqu'au "Tambour" !

Je te mets l'exemple d'un retour qui vaut ce qu'il vaut, mais qui m'intéresse parce qu'il montre, comme je te dis, ce dont je rêve toujours, que le sens (dont je me fiche) ne soit proposé uniquement que par celui qui regarde (puisque je travaille, moi, à mon inconscience). C'est cela l'"interlocuteur", si je pense qu'il va peut-être (si l'idée de Vénus et Adonis se maintient) influencer le prochain travail au point de le créer .

Merci aussi d'avoir insisté auprès de Felix pour qu'il soit à Gennevilliers... Sans lui, en effet, nul Adonis.

Bisous

Yvno






Salut YvNo,

Pour aller jusqu'au bout de ce que m'a donné à imaginer ton spectacle :

Oui, le gag du miroir, car quel est le palindrome de gag, sinon gag...

Après "En attendant YvNO", c'est "YvNO" qui passe le miroir à travers un spectacle consacré à la beauté, à la nostalgie de la beauté et à la douloureuse puissance de l'harmonie classique, référant par les corps des acteurs à Michel-Ange, Rembrandt autant qu'au Caravage ou Raphaël...

Un mythe qui saute aux yeux : Echo et Narcisse... Mais le miroir de l'esthétique est ironiquement brisé à certains endroits, qui ne sont pas les biseaux de la sophistication baroque, mais ces endroits qu'on trouve plutôt dans les angles de l'archaïsme moderne.

Je n'avais jamais pensé à la lecture que suggère le spectacle du Songe d'une nuit d'été, effectivement, cette nuit d'échanges et de réversions, de dérivation des désirs, évoque le miroitement narcissique, et ce double-fond de sous-bois, dans la brume desquels les corps se perdent et les silhouettes humaines prennent des allures fantasmagoriques, et l'amour y est souvent proche du viol, mais du viol de quoi ? La beauté, ce qui d'elle est visible, et en fuite ce qui se réfugie dans les taillis, cherchant à échapper au regard, et à la fixation de la signification, tout autant qu'à la parade bien dressée de la narration ou du drame.

Zidane mais aussi Gérard Philipe est un autre Narcisse qu'il est plaisant de voir convoqué et un peu moqué, sans ironie, sans cynisme, mais seulement parce que le théâtre, l'art dramatique est toujours un peu risible, tendrement risible, lorsqu'il se trouve mis en regard du poème, dans le reflet chantant et fragile de la poésie, la pièce de théâtre, et les acteurs, le spectacle, peep show, font sourire. Comme une grande psyché qui frime devant un verre en cristal...

Comment on se réveille de son image, cette mort de Narcisse, mort en fleur... Oui, on ne peut pas "montrer" le miroir, sauf en se mirant dans le spectateur, en lui roulant une pelle ou en lui donnant le rôle d'un ex assassiné, ou en lui faisant changer de place, et se mettre en face de la place qu'il occupait plus tôt...

Ensuite, alors, dans l'évolution d'un travail d'"YvNO" vers "YvYES", d'un théâtre qui va vers l'autre, ce pourrait être le poème Vénus et Adonis qui structurerait un imaginaire...

Et ce spectacle à venir est inclus dans celui-ci : c'est bien Venus qu'incarne alors la terrible nymphomane techno-infanticide que refuse le spectacle, et qui doit quitter la scène pour violer le public, naissant de la piscine imaginaire, comme Vénus se mettant en chasse d'Adonis...

Narcisse entre l'âne et le chien

Adonis attend sa mort à face de cochon sauvage...

L/

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