Saturday, October 10, 2009

J'avais de l'espoir...

J'avais de l'espoir, je lisais une histoire d'amour qui parlait des difficultés qu'il y a dans les histoires d'amour. Pierre publiait des vers très beaux où l'espérance se brisait comme du verre. Je me demandais si Pierre était malheureux, je regardais la campagne en cherchant les signes de l'eau, des arbres, je me demandais si je devais intervenir. Au lieu de ça, je me mettais à écrire, c'était ça, l'intervention. C'est à dire qu'il n'y en avait pas. Il fallait laisser Pierre vivre peut-être même sa souffrance - littéraire. Et penser que son moi de l'écrivain, comme il dit, n'était pas son moi social. Je l'imaginais qu'on pouvait vivre des choses très gaies et qu'il pouvait écrire des choses très tristes. Mais son moi amoureux ? Et n'étais-je pas tomber amoureux en lisant ce qu'il écrivait ? J'avais une autre phrase - mais nous voici à Laval et j'aperçois Martina par la fenêtre - qu'est-ce qu'elle fait là ? Si je la hèle - je vais l'appeler au téléphone - ç'en est fini de l'écriture et de la lecture - et de la campagne française et de la fille en face de moi qui s'est allongée dans une posture d'intimité digne d'un film de Bresson ou de Godard ou du spectacle de Laurent Chétouane que j'ai vu hier au soir. Mais Martina doit m'aider à préparer ce que je vais faire dans quinze jours à Rennes, en particulier trouver des animaux. Elle avait l'air enthousiaste hier soir, l'air d'y croire. Donc je vais l'appeler, mais pas tout d'suite, pas tout d'suite... D'ailleurs mon téléphone est en panne de batterie, il vaudrait mieux que je me déplace (que je la cherche avec mes jambes). Elle est peut-être dans l'autre rame. Je cherche des signes dans les nuages, dans la lumière, dans le ciel : c'est facile, la nature n'est que signes. Je vois dans les nuages, le ciel, la lumière que Pierre est peut-être triste, mais qu'il s'en sortira. Je vois qu'Hélèna s'en sort, je vois qu'Anne s'en sort... Bref, tout le monde s'en sort et, moi, je m'en sors aussi. Je me baigne dans les nuages gris et blancs, bombés, pleins d'eau comme dans une piscine. J'ai mangé des huîtres ce matin au marché, six huîtres pour deux euros, que le marchand m'a ouvertes pour manger tout de suite. Je les ai mangées à mesure qu'il me les ouvrait. Elles étaient grises et blanches et pleines d'eau comme les nuages et la nature. Il me les déposait sur un petit plateau de goémon pour qu'elles tiennent et je les mangeais, je les avalais à la vitesse de leur ouverture. Voilà quelque chose que Pierre ne peut pas faire. Il est allergique aux huîtres, aux fruits de mer en général. Pourrait-il écrire qu'il en mange s'il ne peut pas en manger ? Ce qu'il y a d'étrange avec la vie, c'est qu'elle est active en permanence. La fille en face de toi qui s'est allongée, tu pourrais la pénétrer. Tu pourrais la pénétrer, oui, la fille qui est en face de toi. C'est comme ça. Mais nous sommes tous bien rangés dans les alvéoles de ce train. Et la campagne lumineuse, verte, brillante, pleine d'eau et de terre brune et de boue et d'arbres un peu partout qui sont tous enchantés, assez enchantés de cette situation. Les lourds nuages, je me baigne et j'y baigne la fille qui dort en face de moi. La jeune fille. Ça existe, les jeunes filles. Elle a peut-être treize ans, mais elle en paraît dix-sept. Sexuellement ce sont les jeunes filles et les jeunes gars qui sont désirables. On peut aimer jusqu'à la mort, mais, le désir, ce n'est pas tout à fait l'amour, même si c'est lié. Cette phrase me fait penser à Jean Pierre Ceton. C'est vrai, il en a bien parlé, lui, de tout ça. Rien de nouveau, rien de neuf. Ça m'amuse d'écrire un bout de phrase aussi comme ça, moi. Maintenant les éoliennes. Elles sont belles. Elles sont vivantes elles aussi. Elles bougent, elles produisent l'amour. C'est la plaine, la lumière, les éoliennes, les nuages immenses et vides comme du temps rebondi, comme du ciel en paquets, leur essence, leur exactitude. C'est au-dessus de la plaine, c'est lourd, ça dort, ça se vautre comme d'immenses canapés vivants, ça singe le paradis. Les éoliennes, elles sont comme des oiseaux, la plaine, y a pas à dire, c'est beau. J'ai regardé les nuages sans fin, sans fin, je me suis dit que j'allais faire des photos.

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